Université de Paris X – Nanterre
Département de Géographie
Sylvain Viard
Directeur Gabriel Dupuy
Maîtrise
Session de juin 1999
Sommaire
Remerciements chaleureux aux stoppeurs qui ont pris le temps de raconter leur route, aux conducteurs qui ont interrompu la leur pour me prendre à leur bord et au lecteur qui s’apprête à faire un bout de chemin ici.
"Mais les braves gens n’aiment pas que L’on suive une autre route qu’eux."
Georges Brassens
Une approche géographique de l’auto-stop est-elle encore d’actualité aujourd’hui? A la veille du troisième millénaire? Ce mode de transport dont l’âge d’or se situe trente ans en arrière mérite-t-il encore que l’on s’y intéresse? Sans le moindre doute.
Le stop est encore d’actualité pour la simple raison qu’il existe toujours aujourd’hui, une génération après l’engouement des années soixante-dix, et qu’il existera encore dans une génération, parce qu’il correspond à un besoin pour toute une fraction de la population, un besoin de mobilité, un besoin de partir à l’aventure pour découvrir ou redécouvrir sous un jour nouveau une région, un pays, le monde. L’opinion généralement admise est que le stop est en perte de vitesse ce qui n’est pas forcément vrai: on peut par exemple supposer qu’il est doucement revenu à son niveau structurel après le pic des années soixante-dix. Aucune donnée expérimentale n’existe, il n’est pas possible de savoir si aujourd’hui le stop se porte mieux que cinq ans auparavant.
Quant à l’approche géographique elle est intéressante dans le sens où les liens de l’auto-stop avec le territoire sont très fort, liens qu’il est nécessaire de démêler si l’on veut comprendre comment fonctionne ce mode de transport.
Le point de vue ici est celui des auto-stoppeurs. Cela n’a pas toujours été le cas dans les études sur l’auto-stop. Certaines se sont intéressées aux relations entre les auto-stoppeurs et les conducteurs, d’autres aux motivations des conducteurs prenant des stoppeurs. Ici cependant le thème est celui de l’auto-stop dans l’espace, thème qui concerne plus les auto-stoppeurs qui doivent jongler avec les propositions des conducteurs que les conducteurs qui ne modifient pas leur route en prenant un auto-stoppeur.
Un parti pris a été de s’intéresser aux stoppeurs les plus experts plutôt que d’enquêter auprès d’une nuée de stoppeurs plus ou moins novices. Cette décision s’appuie sur le pré supposé qui veut que le stoppeur expert, celui qui circule depuis longtemps en stop et n’hésite pas à faire de longs voyages s’appuie sur un ensemble de connaissances acquises au fil de la route qui sont propres à ce mode de transport. Ses connaissances doivent lui permettre d’utiliser des techniques qui rendent sa pratique de l’auto-stop plus efficace et ainsi de se déplacer de cette manière singulière sans se lasser. Le stoppeur débutant lui n’a pas encore accumulé assez de connaissances, il n’utilise pas de techniques précises. Tout au plus connaît-il son environnement immédiat au sein duquel il arrive à circuler tant bien que mal, au risque si les premières expériences ne sont pas concluantes de se détourner de ce mode de transport contraignant. Il faudra chercher à expliciter cette connaissance spécifique des territoires, à comprendre ces techniques.
L’auto-stop étant généralement très mal connu il a semblé judicieux dans un premier temps de chercher à reconstituer son histoire qui s’étend du début du siècle, apparition de l’automobile, à aujourd’hui en passant par les crises des transports qui ont jalonné le siècle. Cet historique est très fragmentaire les sources étant peu nombreuses.
Les études sur le stop étant souvent très datées il a semblé plus satisfaisant de les intégrer dans leur cheminement historique que de les résumer ici d’autant plus qu’elles sont peu nombreuses, ponctuelles. Impossible de définir un quelconque état de la recherche sur le sujet, la plupart des études n’ont aujourd’hui d’intérêt que en ce qu’elles reflètent les préoccupations du moment.
Les choix méthodologiques sont explicités en début de seconde partie avant de donner la parole aux auto-stoppeurs qui durant les heures passées au bord de la route ont poli leurs méthodes jusqu’à l’extrême. C’est à travers plusieurs voyages d’auto-stoppeurs que l’acquisition d’un savoir-faire est décrite. Ces expériences ont été recueillies lors d’entretiens, à part ceux qui avaient été publiés sous forme de récits et qui constituaient les uniques sources d’information déjà disponibles sur le stop.
Ce passage du statut de néophyte à celui d’expert est important puisqu’il permet de vérifier si oui ou non l’accumulation d’une connaissance spécifique de l’espace entraîne l’acquisition de techniques propres au stop.
Puisqu’il s’avère que l’existence de connaissances et de techniques spatiales spécifiques à l’auto-stop est une réalité il a ensuite fallut les analyser en détail dans une dernière partie en essayant de montrer qu’elles forment un tout cohérent et répondent à une logique identifiable, une logique d’auto-stoppeur.
Toute la complexité de l’approche venait du fait que l’auto-stop ne laisse aucune trace derrière lui. Une fois le stoppeur parti du bord de la route c’est comme s’il n’avait jamais existé. L’auto-stop est un phénomène trop marginal pour que quiconque se soit donné la peine de compter les auto-stoppeurs, d’évaluer les flux. Difficile aussi de rencontrer les auto-stoppeurs qui ne sont reconnaissables que durant le temps sommes toute assez court qu’ils passent au bord de la route, le pouce levé. D’autant plus lorsqu’on se fixe comme objectif d’interroger des auto-stoppeurs experts qui devraient rester moins longtemps au bord de la route que la moyenne des auto-stoppeurs si il est exact que l’expérience permet de faire du stop de façon plus efficace.
Impossible d’étudier le stop sans en connaître l’histoire, sans savoir comment il s’est développé à travers le temps, d’un pays à l’autre. La marginalité de ce mode de transport entraîne qu’il n’existe aucun document de synthèse et que son histoire est mal connue, peu documentée, à la différence de celle de son cousin éloigné, le co-voiturage, qui suppose un minimum d’organisation et donc laisse des traces. Les informations sont éparses, sans même parler des estimations du nombre de stoppeur: elles n’existent pas. L’histoire du stop qui va suivre est une tentative de synthèse des informations disponibles au sein de manuels ou d’études tous plus confidentiels les uns que les autres.
L’apparition de l’auto-stop est contemporaine de celle des véhicules motorisés, et sa diffusion est conjointe à celle de l’automobile. Les premiers stoppeurs sont probablement des hobos américains qui circulaient gratuitement sur des trains de marchandises et qui ont de la même manière cherché à accélérer leur vitesse de déplacement en demandant à des automobilistes de les prendre à bord. Les premières descriptions datent des années dix comme celle que rédigera en 1912 Vachel Lindsay, poète américain et voyageur passionné:
"About five o’clock in the evening some man making a local trip is apt to come along alone. He it is that wants the other side of the machine weighed down. He it is that will offer me a ride and spin me along from five to twenty-five miles before supper. This delightful use that may be made of an automobile in rounding out a day’s walk has had something to do with mending my prejudice against it, despite the grand airs of the tourists that whirl by at midday. I still maintain that the auto is a carnal institution, to be shunned by the truly spiritual, but there are times when I, for one, get tired of being spiritual."
Sa pratique de l’auto-stop est indéniable, même si elle n’est encore qu’un complément occasionnel à la marche à pied et non un mode de transport à proprement parler. Le terme hitch-hiking qui n’existe pas encore vient en partie du fait qu’au commencement le stop est un complément à de longues promenades à pied, ce qui se traduit par hike. Le stop n’est pas envisagé comme autonome du fait du trop faible taux de motorisation; cela viendra plus tard.
Il faudra attendre la Première Guerre mondiale pour commencer à voir le stop se diffuser vraiment. Les soldats de l’alliance l’utilisent pour se déplacer, se rendre en permission et en revenir, puis il se diffuse auprès des populations civiles.
C’est sans doute à cette époque que le terme américain fut forgé puisqu’en 1923 apparaît la première référence au terme américain hitch-hiking, selon le Oxford English Dictionary 2ème édition, dans un éditorial du journal américain The Nation, daté du 19 septembre 1923, In The Driftway, signé d’un mystérieux éditorialiste, The Drifter:
"And if there are neither pilgrims nor wandering minstrels, there are "hitch-hikers." Suddenly, some hundreds of feet in front of Susie, who was northward bound, appeared three figures who were at once lithe and stalwart. The Drifter stopped and beheld three young women – dusty Valkyries in grey knickers and sweaters and thick stockings, stout-booted, with small, gray caps, knapsacks and cameras slung over shoulders shapely even under the rough, knitted stuff. They wanted a lift. They were New York girls on a vacation determined to beg lifts – that is the method of the “hitch-hiker” – to Montreal. One of them was communicative. “We’ve had good luck. If our luck holds we’ll be hitching into Montreal tonight in time to catch a ferry for Quebec. [...] There are thousands of us, of course. Hitch-hiking is always done by twos or threes. We know girls who have hitched all the way to California. There’s little trouble and most motorists are pretty good to us. It’s a great way of seeing the country.” The roads full of “hitch-hikers”! Unless human nature has changed - it hasn’t of course – there begins here a life of the road full of romantic and gallant and even brilliant adventure. Even a humble Ford can rattle through fabled mountains and meet dryads on the way."
D’après Bernd Wechner – rédacteur d’un important site Internet sur le stop – il est probable que cet éditorial présent dans les colonnes de The Nation du 17 août 1918 au 10 avril 1935 ait eu comme principal rédacteur Oswald Garrison Villard, célèbre pacifiste américain de la première moitié du vingtième siècle – bien que l’éditorial n’ait jamais été signé – qui pourrait être le fondateur du terme américain hitch-hiking, les dictionnaires américains n’entérinant ce mot que dans les années trente. A la même époque les Anglais forgent le mot lorry-hopping ou lorryjumping, lorry pour camion et hopping ou jumping pour hop in!, jump in!, montez! Ce terme britannique trop limité puisque s’attachant particulièrement aux poids lourds, ne perdurera pas, rapidement contaminé par l’américain hitch-hiking qui gagne tous les pays anglophones.
En France, le mot auto-stop, avec trait d’union ou en un seul mot, apparaît en 1938 d’après Le Petit Robert. Stop, plus familier, est plus tardif. Auto-stoppeur qui qualifie les praticiens de l’auto-stop fait son apparition en 1950. Auto-stoppisme qui n’a malheureusement pas fait école et qui désignait la " Pratique systématique de l’auto-stop " entre dans le dictionnaire en 1959 et en ressort faute d’être entré dans le vocabulaire (Dictionnaire de la langue du 19ème et du 20ème siècle, 1974). La définition est restée inchangée depuis les années cinquante; tout au plus certains dictionnaires ne considèrent-ils que l’aspect mode de transport:
Auto-stop: Action de se placer au bord d’une route et d’exprimer par un geste son souhait d’être pris à bord d’une automobile.Dictionnaire de l’Académie française
Alors que d’autres prennent en compte la notion de gratuité qui est vraie chez nous, puisque très peu d’automobilistes demanderont une participation financière, mais qui est incorrecte dans certaines régions du monde comme l’Asie du Sud Est où la participation aux frais de route est d’usage courant.
Auto-stop: Procédé consistant, pour un piéton, à arrêter une automobile par signes au bord de la route, afin de se faire transporter gratuitement.Dictionnaire de la langue du 19ème et du 20ème siècle
La définition à retenir est la première, celle qui définit le stop en tant que mode de transport.
Aujourd’hui le terme, et avec lui la pratique, s’est diffusé dans de nombreux pays, comme l’explique André Brugiroux en 1986 dans son livre intitulé La route, qui raconte sont périple autour du monde en stop, long de six ans:
" "Faire du pouce" disent les Québécois, "hitch-hiking" disent les Anglo-saxons, "trampen" les Allemands et les Israéliens, "a puttanim" les Islandais, "de aventon" les Mexicains, "cola" les Vénézuéliens, "a dedo" les Chiliens, "bobeia" ou "carona" les Portugais et les Brésiliens, "auto-stop" partout ailleurs, que l’on prononcera selon les latitudes: oto-stop, mouto-stop, auoto-stop, auoto-sitop, etc. [...] Il est désormais possible de faire du stop un peu partout sur terre."
Mario Rinvolucri explique que le premier événement qui a popularisé la pratique du stop en Angleterre a été, déjà, la grève des transports en commun de mai 1926, qui dura deux semaines. Pour la première fois, les automobilistes partagent spontanément et massivement leur véhicule avec ces stoppeurs forcés, habituellement usagers des transports en commun, réduits à cette extrémité par la grève. Il ne s’agit pas de vagabonds ou de chômeurs mais de travailleurs respectables, porteurs d’une légitimité puisqu’ils cherchent à se rendre sur leur lieu de travail. A la fin du mouvement de grève anglais, le Daily Herald, journal du parti travailliste, conclut:
"La civilisation doit, si elle a le moindre sens, la moindre utilité, nous rendre prêt à prendre n’importe qui à bord dans n’importe quelle situation, pas seulement durant les crises, mais dans la vie de tous les jours."
Vœu pieux qui réapparaît après chaque crise de transport. Cet afflux important mais temporaire d’auto-stoppeurs transforme pour un temps ce mode de transport marginal et pour marginal qu’il est en temps normal en une parade intelligente contre l’immobilisation forcée. Bien entendu, une fois la situation de crise passée, le stop retombe dans la marginalité.
Peu d’usagers et de conducteurs de l’époque sont encore là pour parler de la grève de 1926. Un autre événement bien plus marquant va promouvoir le stop auprès du public anglais: la Seconde Guerre mondiale.
La Seconde Guerre mondiale a favorisé la diffusion des antibiotiques et des plaquettes de gomme à mâcher que les soldats américains ont amené dans leur barda mais elle a aussi entraîné pour un temps l’apparition d’un auto-stop de masse. L’utilisation du stop de guerre a marqué les consciences anglaises au point qu’il n’est pas invraisemblable de penser que c’est "grâce" à la Seconde Guerre mondiale que s’est installée dans les mentalités anglaises une image relativement positive du stop. Plusieurs causes se sont conjuguées pour en arriver à ce stop de guerre.
La pénurie d’essence fait qu’elle est distribuée en priorité aux véhicules militaires et aux véhicules de transport en commun; les véhicules civils souffrent eux d’un rationnement drastique. Chaque kilomètre, chaque litre compte, un véhicule sans passager est donc un véhicule mal utilisé.
Les soldats en permission ont besoin de se déplacer pour se rendre auprès de leurs proches ou de leurs familles et ils n’ont ni beaucoup de temps ni beaucoup d’argent; donc ils cherchent le moyen le plus souple et le plus économique pour se déplacer à travers l’Angleterre: le stop apparaît comme la solution idéale. Les soldats ont une bonne image auprès du public, sont facilement identifiables avec leurs uniformes, les conducteurs les prennent en stop sans difficulté.
Les bombardements allemands s’intensifient, les villes deviennent dangereuses et beaucoup de parents évacuent leurs enfants vers la campagne ou les conditions de vie sont plus supportables. C’est en stop qu’ils vont aller les voir.
Dans sa recherche de solution aux problèmes de rationnement le gouvernement britannique incite pour la première fois à l’usage du co-voiturage en donnant des coupons d’essence supplémentaires aux automobilistes qui emmènent leurs collègues sur leur lieu de travail:
"A peu près vingt mille conducteurs s’étaient inscrits au programme du pétrole pour un passager; ils devaient coller des autocollants spéciaux sur leur pare-brise pour montrer qu’ils étaient des "aides voisins", ce qui veut dire qu’ils pouvaient être poursuivis si la police les remarquait entrant et sortant de Londres aux heures de pointe sans que la voiture soit pleine."Rinvolucri, 1974
Le co-voiturage est le pendant organisé du stop et les deux se développent souvent de pair lors des crises de transport. Le stop vient en premier puisqu’il est pratiqué sur une base individuelle, le co-voiturage se structure si la crise se prolonge.
Durant les six ans de guerre le stop devient une habitude nationale (Rinvolucri, 1974) qui retournera à la marginalité non sans avoir au passage marqué les mentalités anglaises. Les jeunes qui pendant six ans de guerre s’étaient déplacés en stop ont continué, puis se sont retrouvés motorisés et ont pris des auto-stoppeurs à leur tour. A la même époque, l’augmentation du nombre de véhicules en circulation est venue renforcer cette tendance.
Difficile de savoir si en France le même phénomène a eu lieu, en tout cas il n’a jamais atteint une telle ampleur, n’a pas été soutenu par le gouvernement, et n’a pas laissé de traces.
Ce schéma de développement du stop et du co-voiturage durant les crises durables de transport s’est vérifié durant la grève des transports parisiens de 1995: de nombreux Franciliens se sont retrouvés au bord de la route en train de faire du stop et très vite des initiatives en faveur du co-voiturage ont vu le jour avec la création d’agences spécialisées qui ont toutes périclitées une fois la crise passée.
De même le stop de crise existe en Israël actuellement où il est utilisé par les militaires et plébiscité officiellement.
"L’armée israélienne a trouvé un moyen efficace et peu coûteux de faciliter les déplacements de ses soldats à travers le territoire de l’état hébreu en construisant des stations d’auto-stop en bord de route aux accès de toutes les villes du pays."AFP, 26 février 1996, 18:10 GMT
Les militaires y sont systématiquement prioritaires face au stoppeur civil: lorsqu’un véhicule s’arrête, il est donc fortement déconseillé d’aller visiter Israël en stop sous peine de rester indéfiniment sur le bord de la route, bien obligé de laisser partir des militaires dans leur bon droit.
Le stop s’est étendu à toute l’Amérique du Nord et en Europe après la Seconde Guerre mondiale, pour être intégré au mode de vie de la "beat generation" représentée par Jack Kerouac l’auteur de On the road (1955). Ses personnages poursuivent leur quête d’eux-mêmes en traversant les Etats-Unis d’une côte à l’autre, le plus souvent en stop:
"My aunt was all in accord with my trip to the West; she said it would do me good; I’d been working so hard all winter and staying in too much; she even didn’t complain when I told her I’d have to hitchhike some. All she wanted was for me to come back in one piece. [...] I started hitching up the thing. Five scattered rides took me to the desired Bear Mountain Bridge, where Route 6 arched in from New England."
Le narrateur part à l’aventure sans vraiment connaître la route ; il improvise au fur et à mesure et déchante très vite. Ce n’est que petit à petit qu’il acquiert une certaine expérience lui permettant de continuer dans de meilleures conditions grâce, entre autres, aux conseils des automobilistes et d’autres stoppeurs:
"There’s no traffic passes through 6. If you want to go to Chicago you’d do better going across the Holland Tunnel in New York and head for Pittsburgh."
La contre-culture hippie aussi intégrera le stop et en fera un usage intensif (Alcorn, 1975) y compris en France: les années soixante-dix sont l’âge d’or du stop. Non contents de traverser la France en long, en large et en travers, certains stoppeurs se serviront du stop pour se rendre jusqu’en Inde.
Un filon que certains n’ont pas hésité à exploiter, comme Adrian Reid, l’auteur de Confessions of a hitch-hiker paru en 1970 qui a eu son heure de gloire en tant que livre à scandale: il a scandalisé les auto-stoppeurs qui s’offusquaient de l’image que l’on donnait d’eux, et il a offusqué les bien pensants par son côté libertaire qui assimile la pratique du stop à la recherche de plaisirs variés. Ce roman est en effet le récit de la vie dissolue de deux auto-stoppeuses, comme l’annonce un quatrième de couverture racoleur:
![]()
"Remember Kerouac’s On The Road? When a hitch-hiker was an intense young man rushing from nowhere to nowhere?
Well, the scene has changed.
Trips are for kicks now, and getting there is all the fun ; A new generation has taken to the road, and loving every mile of it.
This is two "now" chicks’ uninhibited story of a trip across Europe – a trip that took them as far as you can go..."
L’esprit de liberté et une certaine attirance vers l’anarchie imprègnent les récits et les manuels sur le stop, tels Eye of the spud, hitching and freedom etc., in Australia (Mahoney 1981) ou The hitch-hiker’s handbook (MacLaren 1995):
"Mostly [this book] is for the ones out there by choice thought, because the ones who get stuck by accident probably disapprove of hitchhiking and hitchhikers and they’re not gonna buy this stupid book anyway."
La période hippie a laissé des traces dans l’imaginaire, assimilant le stop à un mode de transport rebelle, ce qui ne facilite pas son utilisation aujourd’hui. Après tout, le stoppeur ferait mieux de trouver un boulot, s’acheter une voiture et tant qu’il y est de se couper les cheveux plutôt que de se déplacer aux crochets des automobilistes.
Parallèle à l’aspiration à la liberté, le besoin d’aventure est très présent. Peu onéreuse, l’aventure en stop peut commencer au coin de la rue, elle ne nécessite pas de se rendre dans des pays exotiques et lointains.
La popularité du stop dans les années soixante-dix a tout naturellement conduit certains à s’y intéresser de manière plus académique ; la plupart des études qui lui ont été consacrées datent de cette époque, tout comme les manuels à l’usage du stoppeur.
Le premier manuel à l’usage du stoppeur, Hitch-hiking in Europe ; an informal guidebook sort en 1969 ; Paul Di Maggio réalise en 1971 un mémoire pour le département de sociologie et d’anthropologie de Swarthmore College, Sociability and the hitchhiker. En1972, Jeff Kennedy écrit The hitchhiker’s road book – a guide to travelling by thumb in Europe et l’année d’après sortiront coup sur coup The hitchhiker’s field manual par Paul Di Maggio (extension logique de son mémoire), Rule of Thumb - A Hitchhiker’s Handbook to Europe, North Africa and the East (Coopersmith, 1973) chez Simon and Schuster, et The Complete hitch-hiker (Hicks, 1973).
Mario Rinvolucri, déjà cité, réalise son étude sur les stoppeurs anglais Hitch-hiking en 1974, la même année que celle de Weiss sur les stoppeurs américains, American’s wandering youth, a sociological study of young hitchhikers in the United States et que de l’introuvable manuel Africa for the hitchhiker publié chez Bramsen ans Hjort (Biering-Sorensen 1974).
En 1974 toujours, la California Highway Patrol rédige un rapport, Crimes and Accidents Associated with Hitchhiking [PDF], dont l’objectif est de répondre à une demande du Sénat américain qui désirait avoir plus d’informations sur la dangerosité du stop dans le cadre de la présentation d’un projet de loi:
"L’étude devait inclure tous les accidents et crimes perpétrés par des auto-stoppeurs, crimes commis par des tierces personnes dont lel’auto-stoppeur était la victime et accidents causés par des véhicules en train de charger ou de décharger un auto-stoppeur sur une autoroute ou sur une bretelle d’accès."
Le rapport se révèle de façon surprenante favorable à l’auto-stop dans un pays ou la pratique en est interdite dans la plupart des Etats:
"A première vue l’auto-stop semble un mode de transport attrayant. Il procure un moyen de transport à travers l’ensemble des Etats-Unis pour des personnes qui ne pourraient pas autrement se permettre de se déplacer. De plus il procure un moyen de transport d’urgence pour les automobilistes dont le véhicule est en panne. [...] L’auto-stop serait un moyen d’améliorer l’efficacité des transports automobiles. [...] Le résultat de cette étude n’indique pas que les auto-stoppeurs soient sur représentés dans les crimes et les accidents. Si l’on considère les statistiques des crimes et accidents en Californie, il apparaît que les auto-stoppeurs n’y contribuent que de manière marginale."
L’étude n’est pas réalisée simplement pour mieux comprendre le stop, mais aussi dans le but d’applications opérationnelles. Nous sommes au lendemain du premier choque pétrolier, et les Etats-Unis recherchent des solutions alternatives de transport permettant d’économiser du carburant en cas de pénurie à la manière de l’Angleterre de la Seconde Guerre mondiale.
David Alcorn rédigera Who picks up whom? en 1975, une étude ayant pour hypothèse que les hippies prennent plutôt des hippies et les straigths plutôt des straigths et il arrive même à la conclusion qu’en fait les hippies sont bien plus sectaires que les straigths!
L’année suivante sort la
première édition de Europe: a manual for hitch-hikers (Calder, 1976) qui a été assez largement diffusé
puisqu’il fera même l’objet d’une mise à jour en 1985.
En France, en 1979, sort Comment faire du stop: pédagogie de l’auto-stoppeur, psychologie de l’auto-stoppeur et de l’automobiliste (Voyer, 1979) qui détonne parmi tous ces titres car il insiste sur le respect de l’ordre social et met en avant la supériorité hiérarchique du conducteur qui consent à prendre à bord de son automobile le pauvre auto-stoppeur. Pour l’auteur, le stop consiste à
"Inviter l’automobiliste à bien vouloir s’arrêter. Cependant, cette définition serait incomplète si j’oubliais d’ajouter qu’il s’agit d’un service gratuit qui vous est offert par l’automobiliste complaisant, car après tout, vous invitez également le chauffeur de taxi à s’arrêter, mais moyennant une rémunération."
Ce qui donne le ton, le reste étant à l’avenant ; pour lui l’automobiliste est le supérieur hiérarchique du stoppeur. De toute manière, l’engouement pour le stop est passé, les manuels ou les études plus tardives sont rares.
Cet apogée du stop dans les années soixante-dix a amené les institutions à s’y intéresser avec plus ou moins de bonheur selon les cas.
La plupart des Etats américains l’ont purement et simplement interdit par des textes de lois, certains le tolérant de fait, d’autres non.
La Russie et la Pologne l’ont encouragé: André Brugiroux, qui a fait le tour du monde en stop, raconte:
"En Pologne, j’ai pratiqué l’auto-stop d’Etat. Là-bas, c’est un service public. Pas idiot, le système! On se procure des carnets de tickets dans les bureaux de tourisme et une fois sur le bord de la route, il suffit de montrer son carnet AUTO-STOP (imprimé en gros dans un cercle rouge), les gens s’arrêtent volontiers. En se quittant, on remet au chauffeur un coupon signé correspondant à la longueur du parcours effectué. A la fin de l’année, le chauffeur qui possède le plus de tickets gagne un prix."
Cette idée des carnets de stop n’a apparemment pas fait école hors de Pologne, mais perdure encore aujourd’hui.
La France a tenté de réguler le stop. Il est interdit sur les autoroutes, ce qui est commun à de nombreux pays, mais aussi sur les stations essence, les aires de repos et les barrières de péage, ce qui est déjà plus rare. Les gendarmes réagissent systématiquement à la présence d’un auto-stoppeur sur une barrière de péage alors qu’ils vont bien souvent la tolérer sur les aires de repos ou les stations essence Quant aux responsables de ces aires et de ces barrières cela va de l’indifférence totale à l’interdiction pure et dure en passant par des restrictions sévères. Les autoroutes, voies royales du stop, deviennent une mosaïque que le stoppeur doit apprendre à connaître si il veut circuler sans encombre.
La police se montre aussi très inquisitrice auprès des stoppeurs mineurs, et Simon Calder dans son manuel à l’usage des auto-stoppeurs suggère à ceux-ci de se déplacer avec une lettre d’autorisation de leurs parents pour éviter toute confusion: ils prouvent ainsi qu’ils ne sont pas fugueurs.
Une autre initiative proposée par une femme sénateur sous forme de projet de loi aurait obligé tout stoppeur à posséder une carte spéciale pour être habilité à faire de l’auto-stop ; mais les archives électroniques du Sénat ne remontent pas assez loin et le projet n’a de toute manière pas abouti: seuls les stoppeurs les plus vétérans s’en souviennent. L’idée était que les commissariats de police devaient s’occuper d’enregistrer les stoppeurs et de distribuer les cartes, ce à quoi les syndicats de police se seraient opposés, prétextant que cela occasionnerait un surcroît de travail trop important, qu’ils distribuaient déjà assez de cartes et de permis en tout genre. Ce projet mort-né de contrôle du stop, s’il avait abouti, aurait officialisé le stop avec l’effet pervers de mettre hors-la-loi tous les stoppeurs sauvages non habilités, sacrifiant l’aspect aventureux de ce mode de transport au profit de considérations sécuritaires.
Dans les années quatre-vingts le stop a perdu du terrain, l’engouement qu’il avait provoqué est retombé, et l’intérêt des institutions comme des chercheurs est retombé.
Personality characteristics of the cross country hitchhiker est rédigé par un psychologue, Stephen Franzoi, en 1985, année de la sortie de la deuxième édition du Calder, Europe: a manual for hitch-hikers et de sa variante spécifiquement dédiée au Royaume-Uni, Hitch-hikers manual: Britain.
En 1989, le professeur Joachim Fiedler a dirigé une étude pour la sécurité routière allemande, Anhalterwesen und Anhaltergefahren [PDF], et il arrive à la conclusion suivante:
"La vision communément admise de l’auto-stop est déformée par la montée en épingle que les médias font des cas de viols, de meurtres, etc. alors qu’il n’existe aucunes données expérimentales. Les hommes en tant que groupe font plus de stop que les femmes. Les femmes qui font du stop en font plus que les hommes sur une base individuelle. Les actes criminelles sont bien plus rares que ne laisse penser l’image véhiculée par la police et les médias. Parmi les expériences désagréables la plupart étaient des violations du code de la route le reste n’étant pas propre à l’auto-stop. Les crimes ont lieu quasi exclusivement la nuit. Les femmes sont sujettes à du harcèlement sexuel et des commentaires à caractères sexuelles, parfois à des crimes sexuels plus graves."
Il s’agit du second rapport officiel sur le stop avec celui de la California Highway Patrol de 1974 ; ces deux études menées à quinze ans d’écart tempèrent le très fréquent "Vous n’avez pas peur qu’il vous arrive quelque chose? Avec tout ce qu’on entend de nos jours". Pourtant les rapports ont été émis ou produits par des organismes très sensibilisés aux questions de sécurité routière. Cette impression généralisée que le stop est un mode de transport dangereux ne s’appuie d’après eux sur aucune donnée fiable mais seulement sur une impression diffusée par les médias friands de faits divers sordides qui ne mentionnent le stop qu’en cas de meurtre ou de viol, le stoppeur étant par nature un marginal plus exposé ou plus dangereux que ses concitoyens sagement confinés dans leur véhicule personnel:
Légitime défense. Deux auto-stoppeuses tuent un automobiliste qui leur avait fait subir des sévices sexuels. Le Monde, 22 septembre 1987.Auto-stoppeurs écrasés en Alsace. Le Monde, 5 janvier 1988.
L’affaire Chanal. AFP, 22 juin 1995 15:32.
L’affaire du meurtre de Céline Figard. AFP, 20 fev. 1996 17:21
Les stations d’auto-stop de l’armée israélienne sujets à des attentats. AFP, 26 fev 1996 18:10.
Cette image négative s’est construite au fil du temps, au fur et à mesure du repli sur des espaces privés barricadés et des faits divers, elle ne facilite pas la pratique du stop.
Impossible de savoir si le stop se porte mieux ou moins bien aujourd’hui que lors de la décennie précédente. Le déclin par rapport aux années soixante-dix est certain, mais a-t-il été rapide, sur dix ans, avant que la situation ne se stabilise de nouveau ou le stoppeur est-il une espèce en voie de disparition? Le stop décline-t-il en France alors qu’il progresse en Lituanie?
Toujours est-il que le stop n’est pas mort, il bouge encore. Il bouge en particulier en Europe de l’Est et en Russie, où de nombreux clubs existent organisant des rencontres et des compétitions en forme de parcours en stop. Leur but clairement affiché est de redorer le blason du stop en l’assimilant à un sport plutôt qu’à un mode de transport anarchiste. Ces clubs sont actifs: celui de Vilnius a réuni 70 stoppeurs européens lors d’une rencontre en mars 1999, le Moscow Hitch-Hiking Club en a reçu 300 à proximité de Novgorod en mai. Ce phénomène semble limité à l’Europe de l’Est.
Si un jour la volonté de compter les stoppeurs prenait forme, il faudrait définir ce qu’est un auto-stoppeur. A partir de quand devient-on un auto-stoppeur? Doit-on pratiquer le stop avec une certaine fréquence ou est-ce que tout jeune ayant raté le bus et qui s’essaie au stop de façon complètement inattendue peut être considéré comme un stoppeur? Faut-il parcourir une distance minimale pour être un stoppeur valable? Vingt kilomètres? Vingt kilomètres par mois? On pourrait ainsi comptabiliser le nombre de stoppeurs qui partent d’un endroit donné. Dans les années soixante-dix Le guide du routard, dans ses conseils pour parcourir la France en stop, prévenait les auto-stoppeurs qu’il n’était pas inhabituel de trouver vingt à cinquante stoppeurs massés à la Porte d’Orléans. Aujourd’hui, si cinq stoppeurs sont en attente, cela a déjà un air d’affluence terrible. Donc oui, les stoppeurs sont moins présents qu’il y a vingt ans, mais si l’on voulait connaître l’évolution à l’heure actuelle il faudrait effectuer des comptages réguliers qui permettraient de savoir si les flux de stoppeurs continuent de diminuer ou s’ils sont stationnaires.
Le déclin à vingt ans est une certitude et plusieurs causes se sont combinées pour en arriver là. D’un côté les automobilistes assimilent de plus en plus leur automobile à une extension de leur maison:
"D’ailleurs, le stop est médiocre en France pour la simple raison que la voiture est l’appendice de l’habitat, une petite maison sur roues. MA voiture: "Tu n’entreras pas dedans comme ça, je ne te connais pas." Et puis, "je me suis crevé pour l’acheter, alors, va bosser fainéant." "Brugiroux ; op. cit.
La voiture est passée du statut de véhicule familial à celui de véhicule individuel, elle est un "espace privatif que l’on peut faire sien" (Dupuy, 1995), espace privatif dans lequel le conducteur/propriétaire répugne à faire monter un inconnu qui pourrait gêner, s’avérer agressif ou ennuyeux, endommager ou salir les fauteuils avec son sac à dos. Depuis toujours certains conducteurs préféraient voir le stoppeur hors de leur véhicule qu’à l’intérieur, mais une fois que le véhicule atteint le statut d’espace privatif il est encore plus difficile d’y être invité.
L’augmentation du nombre de véhicules en circulation, du nombre de kilomètres parcourus, l’amélioration du réseau routier aurait pu en partie compenser le fait que le nombre de conducteurs qui se retranchent dans leur voiture augmente, mais tel n’a pas été le cas, le stoppeur potentiel ayant évolué aussi, au même titre que l’automobiliste.
Le taux de motorisation des jeunes a augmenté, ils ont plus vite leur première voiture et n’ont plus besoin de s’appuyer sur le stop pendant une période transitoire où ils ressentiraient un besoin de mobilité mais sans en avoir la capacité financière.
Une fois motorisé, personne n’a envie de revenir au stop, avoir sa propre automobile se révélant bien sur plus confortable que de dépendre de la bonne volonté des autres conducteurs.
Le stoppeur potentiel a vu sa capacité à employer des transports en commun croître, la SNCF et les compagnies aériennes cherchant à capter cette clientèle par des politiques de bas tarifs attractifs, ce qui, là aussi, a porté un coup fatal au stop en tant qu’alternative économique aux autres modes de transport.
Motorisation plus importante, train et avion plus accessibles ; pourquoi se déplacer en stop? Pour couronner le tout l’image du stop s’est considérablement dégradée.
Dans des pays où les infrastructures de transport sont moins bonnes comme par exemple au Royaume-Uni depuis la privatisation des compagnies de bus et de chemins de fer le stop reste une alternative plus sérieuse tout comme en Europe de l’Est et en Russie où le fait que le stop soit particulièrement économique le rend concurrentiel avec les autres modes de transport.
Chez nous, la conjoncture de ces trois facteurs que sont l’augmentation de la motorisation, la baisse du prix des transports en commun et la volonté d’une vie plus confortable, moins aventureuse, ont rendu le stop à une pratique véritablement marginale. Malgré tout, il reste des auto-stoppeurs. Certains occasionnels, par opportunité ou par nécessité, d’autres intensifs, atteints d’auto-stoppisme, qui utilisent le stop systématiquement au détriment des autres modes de transport. Tous ces pratiquants assidus de l’auto-stop, quelles que soient leurs motivations, sont intéressants ici et c’est sur eux que portera le reste de cette étude. Pourquoi utilisent-ils le stop, considéré comme aléatoire, pénible et dangereux? Leur enthousiasme de néophyte aurait pourtant logiquement dû s’user au bord de la route pendant les longues heures d’attente qu’entraîne ce moyen de transport qui est loin d’être optimal: or certains sont toujours là, toujours aussi enthousiastes.
Ils ont probablement remplacé leur enthousiasme des débuts par autre chose, des tactiques, des méthodes pour optimiser leurs trajets, pour arriver plus loin, plus vite, pour attendre moins longtemps dans des lieux moins désagréables... ou pour prendre avec philosophie les heures d’attente. Ceux qui n’ont pas réussi cette mutation se seront lassés et auront disparu du bord de la route. Ne prend pas la route qui veut.
Les auto-stoppeurs chevronnés acquièrent une expérience qui, et c’est l’hypothèse ici, leur donne une connaissance et une perception particulières du territoire qu’ils parcourent. En prouvant l’existence de cette connaissance, et en la comprenant mieux, il sera possible d’expliquer l’originalité spatiale de ce mode de transport unique, qui se distingue de tous les autres y compris du co-voiturage organisé par Allo-stop qui vu sous cet angle se rapproche plus du trajet en bus que du stop à proprement parler.
La population étudiée est celle des auto-stoppeurs experts qu’il va falloir sélectionner en fonction d’un certain nombre de critères. Plutôt que de réinventer la roue, s’intéresser aux protocoles d’enquête des précédentes études sur le stop semblait judicieux. Avec une restriction immédiate: les études réalisées jusqu’à ce jour sur le stop l’ont été dans une optique psychologique ou sociologique, et non pas géographique.
L’enquêteur prend des auto-stoppeurs en stop dans un véhicule ou se fait prendre en stop par des automobilistes, selon que la population étudiée soit celle des auto-stoppeurs ou des automobilistes. Jusque là rien d’inhabituel. La principale difficulté relevée par tous les chercheurs et tous les étudiants qui se sont intéressés au sujet est la suivante: la méconnaissance de la population de référence empêche d’évaluer la représentativité de l’échantillon interrogé, et donc l’analyse qui peut être faite des résultats n’a pas de raison particulière d’être représentative. Les auteurs s’en sont inquiétés, que ce soit Mario Rinvolucri dès 1974 ou Stephen Franzoi, bien plus tard, en 1985.
En cas d’enquête de terrain fallait-il ou non prévenir l’auto-stoppeur ou l’automobiliste qu’il était le sujet d’une enquête? Spontanément la réponse est oui, il faut les mettre au courant. Or, systématiquement, les enquêteurs auto-stoppeurs ont préféré passer sous silence leur statut réel et c’est à l’aide d’entretiens informels qu’ils ont rassemblé les données pour leur étude. David Alcorn écriera en 1975:
"at no time was the researcher’s true identity disclosed. Responses were recorded in the form of field notes on the roadside immediately after the ride."
Pourquoi? La raison en est simple, un automobiliste se sent très souvent agressé s’il apprend qu’il est un sujet d’enquête – même un automobiliste souhaitant bavarder avec son passager temporaire, lui qui ne prenait le stoppeur que pour rendre service et peut-être avoir un peu de compagnie durant le trajet. Il n’a pas librement consenti sa participation à l’enquête, et l’entretien ne se passe souvent pas dans de bonnes conditions.
Par contre les auteurs qui ont interrogé des auto-stoppeurs ont décidé de se faire connaître en tant qu’enquêteur, comme Paul DiMaggio qui a réalisé de longs entretiens auprès de trente auto-stoppeurs, et s’est focalisé pour son étude sur dix cas précis ; Stephen Franzoi qui a fait remplir des questionnaires pendant qu’il les rapprochait de leur destination à 60 auto-stoppeurs répondant à un critère simple: être en train de réaliser un voyage d’au moins 1500 kilomètres à travers les Etats-Unis. Etant dans le rôle du conducteur acceptant de prendre un stoppeur ils n’ont pas rencontré les même difficultés que les enquêteurs stoppeurs.
Une seule étude ne s’appuie pas du tout sur une enquête auprès des auto-stoppeurs ou des automobilistes, celle de la "California Highway Patrol;". Ici la Section d’Analyse Opérationnelle du département de la "California Highway Patrol" a cherché à réaliser une étude exhaustive des cas de crime ou d’accident mettant en cause des auto-stoppeurs ; pour se faire elle a distribué des formulaires spéciaux pendant une période de six mois aux "local agencies of law enforcment", générant 662 rapports. Sachant que tous les crimes et délits mettant en cause des auto-stoppeurs ne leur ont pas été rapportés, mais évaluant le taux de cas recensés par rapport à d’autre enquêtes du même type, ils ont extrapolé le nombre supposé de crimes et délits, ce qui constitue le premier cas et à ce jour le seul d’étude de l’auto-stop de type quantitatif.
Une fois conscient des diverses méthodes déjà utilisées pour étudier le stop il a semblé judicieux de savoir ce qui avait été fait en France. En recherchant des informations auprès des services documentation, archives et relations publiques des principales institutions françaises qui auraient pu être amenées à s’intéresser à l’auto-stop, on rentre bredouille. Ni le ministère de l’Equipement, du Logement, des Transports, et du Tourisme, ni le ministère de l’Intérieur, ni le Conseil National des Transports ni l’Institut National de Recherche en Transport et Sécurité ne semblent s’y être intéressés. Au ministère de la Jeunesse et des Sports, certaines personnes en poste depuis longtemps ont de vagues réminiscences sur de possibles réflexions qui auraient eu lieu au sein du Haut Comité pour la Jeunesse, mais cela remonte à plus de quinze ans en arrière, et les archives n’ont pas aussi bonne mémoire.
Les travaux qui existent sur le stop viennent donc principalement des Etats-Unis, du Royaume-Uni et d’Allemagne. Devant la faiblesse des sources il faut rechercher l’information ailleurs, et l’entretien semble être la meilleure solution.
Comme une bonne connaissance des réalités de la route est nécessaire pour pouvoir discuter sur un pied d’égalité avec les stoppeurs et qu’il est intéressant de comprendre quelles sont les motivations des automobilistes qui décident de prendre des stoppeurs puisque sans eux point de stop, j’ai commencé par pratiquer le stop intensément en Juillet dans le sud de la France, pour me familiariser avec ce mode de transport et au passage recueillir des informations lors de conversations informelles, comme l’avait fait par exemple David Alcorn. Il ne s’agit de toute manière pas de parcourir des dizaines de milliers de kilomètres, mais simplement de mieux comprendre les difficultés et les particularités de ce mode de transport. En un mois, une soixantaine d’automobilistes se sont prêtés au jeu des questions - réponses, la plupart sans en connaître la finalité, puisqu’il est avéré qu’il vaut mieux rester discret pour ne pas couper le contact. En fait tout dépend du conducteur et des passagers. Dans certains cas la confiance s’installe vite, la discussion est animée et le conducteur est amusé d’apprendre qu’il sert en quelque sorte de cobaye; dans d’autres le conducteur est méfiant ou taciturne et il vaut mieux ne rien dire pour ne pas aggraver la situation. Les conducteurs ne sont pas vraiment surpris non plus de la curiosité du stoppeur car
"En échange de l’avoir pris à bord, il y a une demande implicite [...] vis-à-vis du stoppeur, ce dernier devant être cordial et causant, allant même jusqu’à écouter le conducteur parler de ses problèmes personnels. Les auto-stoppeur les plus attentifs ont tendance à obtenir les trajets longs, les déjeuners gratuits, et autres agréments accordés par le conducteur satisfait."Franzoi, 1985
Tout s’est généralement très bien passé, les conducteurs s’attendant à ce que leur nouveau passager fasse la conversation. Hélas, le carnet de route contenant un mois de notes est resté dans une voiture, avec à l’intérieur les itinéraires, les horaires, les récits. Ne reste que des impressions fugaces, des généralités et des points marquants.
En région parisienne il est plus difficile de circuler en stop. Il faut trouver des objectifs assez éloignés pour avoir le temps de poser des questions et assez proches pour ne pas passer des heures et des heures avec des conducteurs non communicatifs ou n’ayant jamais pris d’auto-stoppeurs avant, deux situations fruits d’expérience préliminaires, et extrêmement frustrantes.
Au départ de Paris il y a par exemple la possibilité de partir de la Porte de la Chapelle vers Lille, soit deux heures de trajet, durée permettant de faire connaissance et de discuter à bâtons rompus pour réunir quelques informations en toute discrétion sans effaroucher le conducteur. L’ensemble des villes-cathédrales à proximité de Paris peut aussi servir d’objectif, un aller-retour et ce sont deux conducteurs au moins avec qui il a été possible de discuter. La région parisienne n’est cependant pas l’endroit idéal de par la complexité du réseau routier et l’importance des flux de Franciliens qui restent à proximité immédiate de la capitale. Revenir vers Paris n’est pas non plus toujours simple. Par exemple de Lille les entrées sur l’autoroute sont nombreuses et ceinturent la ville, les flux de voitures pour chaque sortie sont faibles et de plus ces sorties sont agencées de telle sorte que l’auto-stoppeur n’y a pas sa place: soit il n’est pas visible, soit les voitures vont vite. Faute de lieu propice au départ, l’attente est longue, très longue.
Une fois familiarisé avec ce mode de transport, l’attention se porte sur les auto-stoppeurs et surtout sur ceux ayant beaucoup de kilomètres à leur actif. La première idée est de les chercher le long des routes, comme à la Porte d’Orléans, lieu mythique du stop en France. Après tout, la plupart des chercheurs sur le stop s’y sont pris ainsi, à leur plus grande satisfaction. Evidemment ils possédaient un véhicule, ce qui simplifie l’opération, et ont parcouru des centaines, voirr des milliers de kilomètres, pour rencontrer des stoppeurs. A défaut de posséder un véhicule, il faut attraper les stoppeurs à la volée, avant leur départ, au risque de les importuner, car ils sont justement en train de chercher à partir, donc ils ne sont que peu disponibles. L’échantillon est biaisé puisqu’alors qu’on recherche des auto-stoppeurs expérimentés on récolte surtout des débutants, ceux qui se sont positionnés n’importe comment, ceux qui circulent à plusieurs ou avec un énorme sac, ceux qui ont des têtes de tueurs en série; tout ce beau monde attend plus longtemps au bord de la route, voire ne part jamais et est donc plus susceptible d’être rencontré. Evidemment cela n’est vrai que si l’hypothèse selon laquelle les stoppeurs de longue date partent plus vite.
Pour les même raisons il est aussi très difficile d’interroger des auto-stoppeuses, car elles ont tendance à ne pas attendre, ce qui fait dire avec humour à Mario Rinvolucri "pretty girls seemed to step out of one car into another". Le territoire à couvrir est vaste, même en limitant aux stoppeurs partant de Paris vers le sud ; tout le monde sait qu’il faut partir de la Porte d’Orléans, les offices du tourisme le recommande aux stoppeurs étrangers qui visitent la France ; il s’agit probablement du fait le plus connu du stop français, et pourtant de nombreux stoppeurs s’entêtent à choisir d’autres points de départ. Pire, il apparaît en fait que ce sont souvent les stoppeurs néophytes qui, confiants dans cette quasi-loi du stop, partent de la Porte d’Orléans. Les stoppeurs aguerris sont plus imaginatifs et partent de la Porte d’Italie, de banlieue...
Le fait d’aller chercher les stoppeurs experts au bord de la route n’apporte donc pas grand-chose, sauf des complications, et la nécessité de faire un tri important parmi les stoppeurs rencontrés puisqu’on suppose que les experts y sont moins longtemps que les autres, moins souvent, et à des endroits moins évidents. Si encore on avait eu une population de référence, et des visées quantitatives, on aurait pu faire un échantillonnage de bord de route, pour compenser les chances inégales de rencontrer les diverses catégories de stoppeurs, mais ici, comment faire? Il n’existe pas de population de référence. L’objectif n’est de toute façon pas quantitatif.
Plutôt que d’interroger des centaines de stoppeurs, le choix a donc été d’interroger des stoppeurs ayant parcouru des milliers de kilomètres, pour essayer de corroborer l’hypothèse selon laquelle leur expérience de la route leur donne une vision propre du territoire, une vision propre à ce mode de transport différent de tout autre. Ces auto-stoppeurs aguerris ont été rencontrés partout, sauf au bord de la route.
Il est un fait avéré: l’échantillon interrogé n’est pas, ne peut pas être représentatif des auto-stoppeurs en général puisque l’objectif est de comprendre comment les stoppeurs experts utilisent le territoire. La plupart de ces auto-stoppeurs ont de plus été rencontrés via Internet, sur des sites web ou des forums de discussion spécialisés, par le bouche à oreille, et ne sont pas un échantillon représentatif d’une population de référence. Par contre ils emploient tous des techniques similaires; or, c’est cet aspect qui est intéressant ici.
L’objectif a été de diversifier le plus possible l’échantillon, pour pouvoir construire une typologie qui permette de ne retenir que les plus représentatifs pour des entretiens plus poussés. Cela a semblé la meilleure solution, compte tenu des difficultés particulières rencontrées en cherchant à interroger des stoppeurs de longue date. Certains ont été interrogés lors d’entretiens longs, d’autres par des séries de questions échangées par courrier électronique, ce qui oblige à expliciter plus et permet de tout consigner, d’autres encore ont laissé des récits de voyage sous forme de livres: ce sont souvent les plus baroudeurs, qui ont passé bien des heures sur la route, la distance parcourue se chiffrant parfois en centaines de milliers de kilomètres. D’autres enfin tiennent des carnets de route, comme Benoît Pierret ou Robert Prins qui analyse méthodiquement ses temps de parcours selon la saison et le jour de la semaine.
Un premier critère qui s’applique à tous est de savoir combien d’expérience de la route ils ont: tout ceux retenus ici sont de vieux routards.
Il est très vite apparu que si le stéréotype de l’auto-stoppeur est bien ancré, un quidam au bord de la route, avec ou sans sac à dos, tendant le pouce en quête d’un véhicule, en fait derrière cette image d’Epinal se cache une réalité plus complexe et les stoppeurs sont très différents en fonction de leur expérience, de leurs motivations et du niveau d’empirisme de leur technique. Les stoppeurs interrogés vont du stop le plus local au stop planétaire, du plus intuitif au plus organisé.
Ont été retenus les plus représentatifs, ceux qui pouvaient apporter des éléments de réponse grâce à leur expérience de la route. Ils ont entre autres permis de comprendre que leur expérience ne dépend pas seulement du nombre de kilomètres parcourus mais aussi de la manière de parcourir ces kilomètres. Leur perception a évolué, s’est enrichie en fonction aussi du degré d’aventure, d’inconnu, de méthode de chacun.
Ce passage du débutant à l’expert est décrit à travers l’expérience de Howell Parry qui, pour son baptême de la route, est parti de Manchester dans le but de parcourir le plus de kilomètres possibles en vingt-quatre heures. Il n’en est encore qu’aux balbutiements, ne s’est pas beaucoup préoccupé de technique, ne connaît pas ou applique mal les règles de positionnement. Avant de devenir un expert, tout stoppeur s’est un jour trouvé dans cette situation. Ce n’est que plus tard que tout se complique, quand le stoppeur commence à réfléchir sur son mode de transport, à utiliser des cartes ou à se renseigner auprès des autre stoppeurs avant de partir explorer le vaste monde en quête d’aventure moderne.
Jean-Marc Leblanc permet de bien comprendre la transition. Il a utilisé le stop pour rentrer de Angers où il faisait ses études, à Ernee, un petit village à cent dix kilomètres de là où vivaient ses parents. Il a fait le trajet tous les week-ends pendant deux ans et le connaît dans les moindres détails, dans toutes ses variantes. Dans son cas la distance est assez importante mais il s’agit bien de stop de proximité puisque très vite, au bout de deux ou trois fois, il est en terrain connu. Ce n’est que plus tard qu’il se met à parcourir des espaces inconnus.
Benoît Pierret à franchi le pas et s’appuie fortement sur des cartes pour localiser les meilleurs lieux et les meilleurs trajets, en particulier sur les cartes indiquant les barrières de péage et les stations à essence sur l’autoroute.
Au-delà du cadre national Robert Prins traverse l’Europe et est donc confronté à des pays différents, ce qui l’oblige à adapter son stop et enrichit sa réflexion en lui permettant de comparer les situations; il note systématiquement tous ses arrêts, les temps d’attente, les dates, les kilomètres parcourus.
Enfin André Brugiroux a passé six ans sur la route à faire le tour du monde ; sa pratique du stop est différente puisqu’il s’agit d’un véritable voyage fait par et pour le stop.
Ces cas devraient permettre de mieux comprendre pourquoi certains pratiquent le stop sans relâche, sans se décourager et en quoi cela finit par singulariser leur perception du territoire.
"Certains stoppeurs sont mal placés. A mon grand regret, je ne peux m’arrêter car je n’ai aucune intention de provoquer d’accidents. Tant pis pour eux, qu’ils apprennent!"Brugiroux, op. cit.
Savoir faire du stop implique une certaine maîtrise et l’acquisition de ce savoir faire en stop se fait sur le tas, au bord de la route ou en discutant avec d’autres stoppeurs. Howell Parry a participé trois ans de suite aux 24 heures en stop organisées par l’université de Manchester au bénéfice de Children in Need, manifestation dont l’objectif est d’aller le plus loin possible en une journée de stop. La première année il constitue un trio avec deux autres étudiants qui comme lui n’ont jamais fait de stop de leur vie: ils mettront vingt-quatre heures pour aller de Manchester à Paris. L’année suivante Howell Parry fait équipe avec une jeune fille, Elisabeth Wiseman: ils atteindront Düsseldorf. Enfin en 1993 Howell Parry, Henry Burrows et Matthew Pennell atteignent Francfort. Howell a tenu par trois fois un carnet de route. A chaque fois il est arrivé un peu plus loin en vingt quatre heure, ce qui est certes dû en partie au hasard mais aussi peut-être à une meilleure maîtrise du stop: l’insouciance de la première année fait place à plus de rigueur et de méthode.
24 heures en stop
Vendredi 22 Novembre 1991
Howell Parry, Henry Burrows & Dave Bruton
Le parcours ne s’arrête pas là. Les trois stoppeurs profitent de leur présence à Paris pour aller voir la Tour Eiffel, y retrouvent d’autres participants, dorment dans le hall d’un hôtel ; il leur faut encore revenir. Henry rentre en avion le lendemain matin alors que les deux autres continuent en stop, ce qui leur prendra deux jours de plus.
Leur manque d’expérience est frappant. Ils circulent au petit bonheur, sans stratégie, au fil de la route. Ils se retrouvent régulièrement dans des culs-de-sac qui les obligent à repartir en arrière
"On sort de l’aéroport, dans la direction de l’autoroute A1 vers Lille Paris (puisque nous sommes juste à l’extérieur de Paris). On plante sur une voie d’accès. On attend des heures, en essayant d’arrêter des voitures. Des voitures passent, mais pas de camions. Nous marchons de plus en plus loin sur l’autoroute, mais personne ne s’arrête."
Les années suivantes les voyages seront faits avec plus de prudence, en s’emmitouflant et en s’assurant de connaître au moins un peu la route à suivre. Howell et ses deux compères ont choisi la manière la plus complexe pour s’initier au stop: le voyage long. Il est plus fréquent de commencer par des voyages plus courts qui permettent de se familiariser avec les concepts de base. C’est ce qu’a fait Jean-Marc Leblanc.
Jean-Marc Leblanc est rentré tous les week-ends pendant deux ans de Angers où il faisait ses études à Ernee, à cent dix kilomètres de là, où vivent ses parents. Il a raconté son initiation au stop par le biais du courrier électronique. Il n’est pas le seul auto-stoppeur rencontré à effectuer très souvent le même trajet mais dans son cas la fréquence importante de ses allers et retours pendant une période longue lui donne une très grande connaissance de ce trajet précis, ce qui correspond à un premier niveau d’expertise.
(Premier échange)
"Pendant deux ans, alors que j’allais à la fac à Angers, je suis rentré tous les week-ends chez mes parents entre Laval et Fougères, dans le 53, la Mayenne. De Angers à Ernee, il y a 110 kilomètres, une heure et demie de voiture dans des conditions normales de circulation.Après je me suis éloigné de chez mes parents et ce n’était plus possible de rentrer le week-end en stop, le trajet était trop long."
![]()
![]()
Angers – Ernee
Le trajet pendulaire parcouru par Jean-Marc Leblanc est particulièrement long ; la plupart des stoppeurs rencontrés qui rentraient le week-end parcouraient moins de cent kilomètres aller-retour, c’est-à-dire qu’il passaient une heure sur la route par trajet en moyenne, sauf pour quelques-uns poussés par une motivation forte, généralement une petite amie, qui hebdomadairement ou mensuellement parcouraient des centaines de kilomètres, Toulouse - Paris ou Saarbrücken - Aix-en-Provence – en moyenne neuf heures aller, treize heures retour.
Jean-Marc Leblanc s’est mis à utiliser le stop faute d’une ligne de chemin de fer digne de ce nom entre Laval et Angers, puisqu’en train il faut faire un détour par Le Mans. En train il aurait mis 35 à 40 minutes pour aller jusqu’au Mans, puis 35 minutes jusqu’à Laval, avec de trente minutes à une heure d’attente entre les deux et la nécessité soit qu’on vienne le chercher à Laval, soit qu’il reparte en stop, ce qui aurait signifié ressortir de la ville puisque la gare est en plein centre. Le prix du train: de cinquante à quatre-vingts francs. Le stop est ici assez simple et assez rapide pour concurrencer le train. De même le stop peut valablement entrer en compétition avec le bus et le co-voiturage qui coûte trente francs et nécessite de s’adapter à l’offre de conducteurs. La mauvaise qualité des réseaux de transport est une des raisons principales de la pratique du stop en zone rurale, de même certains conducteurs expliquent-ils qu’ils prennent des stoppeurs parce qu’ils pensent qu’il y a un manque d’offre de transport.
"A cette époque, jeune bachelier et jeune conducteur, je n’étais pas autonome dans mes déplacements puisque je n’avais pas l’autorisation parentale de prendre la voiture, d’autant plus que mon grand frère était également sur Angers. Donc on m’imposait le co-voiturage, mais je n’aimais pas être tributaire de mon frère ou de mes amis surtout si moi je finissais les cours le jeudi matin et que le conducteur ne partait que le vendredi soir à pas d’heure."
L’absence de véhicule personnel est bien sur le premier motif qui pousse les stoppeurs sur la route, soit parce qu’ils n’ont pas le permis, soit parce qu’ils jugent ne pas avoir l’argent pour payer les frais inhérents à la possession d’une automobile.
"J’attendais très peu: de rien du tout, c’est-à-dire que la voiture s’arrêtait avant que je me trouve a mon meilleur point de départ, à une demi-heure maximum s’il n’y avait pas de voitures. Je me faisais déposer aux meilleurs endroits et tout allait très vite! Je ne suis pas plus sélectif qu’avant, par contre je suis plus expérimenté."
La plupart des stoppeurs experts expliquent de même qu’ils attendent peu, qu’ils attendaient bien plus au début mais que maintenant ils savent comment s’y prendre pour ne pas rester trop longtemps au bord de la route. Ils pratiquent un stop efficace, précis. Une fois les premières angoisses passées et pour autant que le climat soit relativement clément le stop peut sur certains trajets s’avérer un choix valable.
"J’acceptais presque tous les arrêts intermédiaires, parce que le chemin fait n’est plus à faire et que c’est bon pour le moral de ne pas rester trop longtemps au même endroit. [...] Je refusais par contre ceux qui m’auraient mis dans des endroits impossibles pour repartir: en plein milieu de la cambrousse, à l’embranchement d’une sortie d’autoroute..."
D’autres préféreront décliner des offres si la voiture ne va pas assez loin où si elle s’écarte de la destination envisagée. Bien sûr, plus l’attente se prolonge et moins le stoppeur va être difficile dans ses choix.
Différence principale entre le stoppeur et l’automobiliste: si le stoppeur ne met en moyenne que trente minutes de plus que le conducteur pour faire la route, ce dernier a une marge d’erreur de dix minutes alors que celle du stoppeur est bien supérieure; il n’est jamais sûr que ses attentes ne vont pas se prolonger:
"Une fois, j’ai mis cinquante minutes, une autre fois deux heures (les trente-trois tonnes c’est bien pour le paysage mais pas pour la montre), plus parfois mais parce que quand tu fais du stop on te propose très souvent des plans: alors des fois tu refuses, d’autres non."
Autre aléa du stop auquel le conducteur n’est pas directement confronté: le climat. Si il pleut, le conducteur peut rouler dans des conditions quasiment inchangées, bien confortablement installé dans sa voiture. Le stoppeur par contre est directement en contact avec la pluie ou le froid durant ses attentes du bord de route. Le climat ne semble pas gêner Jean-Marc, il part même sous la pluie. Au pire, en cas de forte averse, il attend une accalmie. Pour lui il ne fait pas de doute que le stop fonctionne mieux quand il ne fait pas beau, les automobilistes prennent en pitié un stoppeur sous la pluie, les femmes en assimilant le stoppeur à leurs propres enfants, les hommes en assimilant le stoppeur à leur jeunesse. Charge au stoppeur d’être équipé de manière adaptée au climat, histoire de rendre les attentes supportables.
"Je me positionnais le plus à l’extérieur possible de la ville pour réduire au maximum le choix des directions et mettre l’automobiliste au pied du mur: qu’il ne puisse pas montrer d’un signe de la main qu’il tourne à la prochaine à droite et lui laisser une excuse pour ne pas me prendre! Il faut aussi trouver un endroit où les voitures ne roulent pas vite et où elles peuvent s’arrêter sans risque pour elles et les autres. [...] Donc, à Angers, la sortie du dernier rond-point avant la route dans la direction voulue. Les toutes premières fois, je ne connaissais pas trop le trajet, mais au bout de deux ou trois fois j’avais trouvé le meilleur endroit."
Il choisit stratégiquement son lieu de départ mais il n’est pas le seul à le connaître et tous les auto-stoppeurs s’y retrouvent. Le problème d’encombrement des lieux clefs reste d’actualité même si le nombre de stoppeurs a baissé. Plus le trajet est long et plus la distance qu’il est prêt à parcourir à pied pour trouver le bon point de décollage est importante:
"Je parcourais de un à cinq kilomètres à pied avant d’arriver à mon point de départ, ça aurait été plus simple en bus ou en taxi. [...]Au bout de deux ou trois fois, j’avais trouvé le meilleur point de départ ; quand au trajet entre Ernee et Angers, il n’y en a qu’un, aux subtilités de raccourcis près dans les agglomérations, mais bon ça c’est le problème de celui qui conduit."
Plusieurs éléments sont à prendre en compte dans le choix d’un lieu de décollage, tous aussi importants les uns que les autres:
"Facilité de stationnement, important. Passage où les voitures vont lentement, important. Visibilité, important. Volume de circulation, moins important. Il suffit d’une voiture, et quand il y a beaucoup de circulation, j’ai l’impression que les automobilistes comptent sur les autres pour se dévouer. Portion du trafic se rendant dans la bonne direction, important si on veut faire le trajet le plus rapidement possible. Mais je ne peux pas te dire lequel est le plus important, parce qu’il y a des barges qui s’arrêtent n’importe ou, d’autre qui roulent comme des tarés et qui pilent pour te prendre, et même d’autres qui cumulent: à la deuxième situation tu rajoutes qu’ils sont sur l’autoroute et qu’ils font une marche arrière pour venir à ton niveau (c’est du vécu)."
(Deuxième échange)
Un endroit impossible est un endroit où une personne normale, c’est à dire prudente et sérieuse, ne s’arrêtera pas parce que c’est trop dangereux et qu’elle va trop vite, comme la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute (tu peux être surpris mais les conducteurs qui te lâchent sur l’autoroute existent) ; la sortie immédiate des grandes villes, même s’il ne s’agit pas d’autoroute (les gens sont à fond): la circulation est dense sur plusieurs voies et il ne vaut mieux pas rajouter de l’information visuelle qui risque de provoquer un accident.
Question de bon sens, il faut chercher à éviter de se mettre ou de mettre le conducteur en danger, il faut aussi choisir un lieu qui permette de s’arrêter:
"A l’inverse, un endroit possible est un endroit où la circulation s’effectue au compte-gouttes (pas de double voie), ce qui ne veut pas dire qu’elle ne doive pas être dense ; où l’automobiliste, en passant, à le temps de lire la pancarte, pour qu’il ne te découvre pas au dernier moment. Un endroit ou il y a une zone ou la voiture peut se garer sans se faire rentrer dedans."
Ce qui suppose une lecture de l’espace pour rechercher les lieux répondant le mieux à ces critères. L’expérience en stop passe par l’acquisition de cette lecture de l’espace.
"Dans ce type de stop pendulaire, au bout de quelques trajets tu connais l’itinéraire et comme il y a plus de cent kilomètres, c’est rare de le faire en une voiture, surtout pour une destination aussi exotique qu’Ernee."
En connaissant bien l’itinéraire, le changement de véhicule n’est pas vraiment un problème puisque Jean-Marc sait d’où il a de bonnes chances de repartir vite. Le fait de faire le trajet en une seule voiture ou en plusieurs n’est pas dépendant de la longueur du trajet mais de sa complexité et de la nature des flux de véhicules. Paris - Rennes en un seul véhicule est plus probable que Angers - Ernee, les flux étant moins dispersés.
Pour Jean-Marc l’expérience consiste à éviter certaines erreurs comme ne pas avoir de pancarte ; attendre seulement d’être au point choisi pour faire du stop alors qu’il vaut mieux tendre la pancarte même en marchant, on ne sait jamais ; faire la gueule. Son expérience lui permet aussi de se faire déposer à des endroits plus stratégiques, de lier connaissance plus vite avec le conducteur qui sera ainsi plus prêt à faire un léger détour pour aider le stoppeur.
La première fois il faut déchiffrer le trajet pour apprendre tout ce qui n’apparaît pas sur les cartes: à savoir est-ce que tel carrefour est vraiment pratique et permet aux voitures de s’arrêter facilement ou est-ce qu’en fait une rangée d’arbres empêche au stoppeur d’être visible? Connaître le trajet permet de recouper les informations données par les conducteurs qui s’appuient sur leur expérience de conducteur. Un lieu qui semble idéal pour repartir en voiture peut être trop peu fréquenté pour être un bon lieu de redécollage en stop. Jean-Marc explique qu’un détour de deux minutes en voiture peut faire gagner vingt minutes au stoppeur puisque la grande différence entre les voitures et le stoppeur c’est que le stoppeur est à pied et qu’un kilomètre à pied c’est long. Les deux circulent à des échelles différentes.
Il a commencé par faire du stop pendulaire, puis petit à petit s’est servi de son expérience pour faire d’autres voyages, le stop lui permettant d’augmenter sa mobilité. La plupart des stoppeurs, une fois familiarisés avec ce mode de transport et s’ils n’ont pas été découragés par leurs premières expériences, se mettent à s’en servir de plus en plus.
"Je me suis mis à beaucoup me déplacer en stop après avoir fait ces trajets pendulaires, entre autres avec l’association Trans Euro Stop. Je vais de plus en plus loin, en France, en Espagne, au Portugal, à Malte, au Pérou, au Chili, en Bolivie... Ce qui est génial, c’est de savoir d’où tu pars, mais pas où tu seras le soir. Je voyage par choix le plus souvent, le stop correspond à mon mode de vie actuel. Je ne me déplace plus par nécessité, j’ai une voiture et maintenant je prends les auto-stoppeurs."
Benoît Pierret est le type même du stoppeur organisé. Il repère avant de partir les parcours possibles, évite les villes en s’appuyant sur les cartes Michelin qui indiquent les stations services et les barrières de péage sur autoroute, ce qui lui permet de circuler dans des conditions optimales sur de grandes distances. Il a parcouru vingt milles kilomètres en 1998 lors de son service militaire, d’après son carnet de route, et a accepté d’expliquer ses techniques. Il est un bon exemple de stoppeur chevronné connaissant bien les routes, et plus précisément les autoroutes de France.
"Ma méthode diffère selon que je connais le trajet ou non. Si je connais le trajet, pas de difficulté. Par contre si le trajet est nouveau, comme mon premier trajet de Paris à Pau, il faut résoudre un certain nombre de difficultés. La première étant de sortir de Paris. [...] La plupart des stoppeurs analysent moins leur itinéraire que moi. Par exemple, tout le monde sait que pour partir de Paris vers le Sud, il faut se mettre à la Porte d’Orléans. Je ne suis pas d’accord: partir de la Porte d’Orléans n’est pas idéal. [...] J’ai cherché des alternatives, comme à partir d’une station à trente minutes de marche de la gare de RER de Villabet en zone 6, mais cela nécessite de payer les 40FF du RER, de posséder une carte orange six zones ou de resquiller. J’ai trouvé cette station avec ma carte des autoroutes ; de manière générale, je recherche systématiquement des stations à essence et des péages. [...] J’ai aussi cherché des stations plus proches que celle de Villabet, mais elles ne sont pas connectées au réseau de transports en commun. Maintenant, je pars de la Porte d’Italie, vers Lyon ou Clermond-Ferrand. [...] Pour en revenir au trajet Pau - Paris, il présente deux difficultés majeures: sortir de Paris et éviter Bordeaux, qui est un nœud routier cintré d’un périphérique. Partant de la Porte d’Italie, j’indique Orléans sur mon panneau, et je trouve une voiture. Si ça n’avait pas marché, au bout d’une demi-heure, j’aurais indiqué Bordeaux. [...] L’essentiel est de ne pas s’arrêter au centre de Bordeaux!!! Car il serait alors impossible de repartir, il faudrait prendre le bus vers la périphérie. Non, il vaut mieux s’arrêter à la barrière de péage avant la ville, et chercher une voiture qui contourne l’agglomération. Le problème pour Pau, c’est que de Paris il n’existe pas de barrière de péage au sud de Bordeaux ; donc si un conducteur contourne Bordeaux, je ne pourrai pas me faire déposer à une barrière. Or, si je suis déposé à une sortie, il faut faire attention que le flux de véhicules n’y soit pas trop faible! La route logique pour aller à Pau en voiture est une route directe passant par Orléans, Châteauroux, Limoges, Cahors, Montauban, Toulouse et Tarbes. Alors qu’en stop la route à suivre est plus tarabiscotée. Dans ce cas, j’avais indiqué "Espagne" sur mon panneau, à la barrière de péage au nord de Bordeaux ; un véhicule m’a déposé à la barrière de péage au sud de Bayonne, où je suis resté une heure. [...] Il est donc une heure du matin, mon objectif est Pau. Je descends à la frontière espagnole, où j’attends deux heures. Finalement, je prends le GR qui longe les Pyrénées, et vais dormir un peu à l’écart. Le lendemain matin, un camion m’emmène. Par expérience, j’ai tendance à éviter les nœuds autoroutiers, parce qu’il s’agit généralement de triangles d’autoroutes sans péages, et il faut absolument éviter de s’y retrouver coincé. Là, à la sortie de l’autoroute vers Pau, il y a un péage, ce qui facilite les choses: c’est le routier qui me l’a dit. Du péage je repars vers Pau sans problème et J’arrive vers onze heures du matin. [...] Sur ce trajet, je ne connaissais pas du tout le terrain, et j’ai dû tâtonner, ce qui n’était pas idéal. Par exemple, je ne savais pas qu’il y avait un péage au niveau de Bayonne, etc. J’irai beaucoup plus vite la prochaine fois."
Son voyage semble maîtrisé, il sait où il va, par quels trajets, et il sait aussi comment choisir ses lieux intermédiaires. Il explique que pour lui il existe deux types de stoppeurs, ceux qui préfèrent les gros flux même dans des endroits pas terribles, et ceux qui comme lui préfèrent les axes avec moins de voitures, mais où elles sont plus abordables. Cela dépend de la façon d’opérer, mais aussi des coutumes locales. Puisqu’il préfère les flux moins importants, il évite les jours de grand départ qui sont peu adaptés au stop.
"En stage à Annecy, je retournais régulièrement voir mes parents à Metz. J’avais toujours réussi à rentrer, mais le 15 août il n’y a rien eu à faire. Les voitures sont pleines, et il y en a beaucoup. Les conducteurs des voitures où il reste de la place se disent que d’autres conducteurs s’arrêteront, ils sont stressés par l’encombrement des routes [...] Là où le stop marche le mieux pour les longues distances, c’est en semaine, quand les commerciaux sont sur les routes."
Le stop est plus ou moins facile selon les régions, plus ou moins bien accepté. Par exemple en Rhône-Alpes le stop marche mieux parce qu’en été beaucoup de touristes font du stop, alors qu’en Lorraine d’où Benoît Pierret est originaire il y a très peu de touristes en stop et les stoppeurs sont donc considérés beaucoup plus comme des marginaux.
Benoît explique qu’il est souvent possible de faire du forcing auprès des conducteurs pour partir plus vite, le tout étant de bien doser. Un conducteur qui aura vraiment l’impression qu’on lui a forcé la main et qui n’aura pas osé refusé de prendre le stoppeur ne s’y retrouvera pas dans l’échange avec le stoppeur, il ne sera qu’une sorte de taxi gratuit et ne retirera rien de la présence du stoppeur. Difficile de discuter amicalement avec un conducteur qui n’a pas vraiment eu le choix. Après tout le stop n’est pas seulement un mode de déplacement mais aussi un formidable moyen de rencontrer des gens, ce que ne permettent pas les autres modes de transport ; et si la vitesse de déplacement est le facteur déterminant alors mieux vaut se rabattre sur d’autres alternatives comme le train. Encore que dans certains cas le train ne soit pas forcément plus rapide, comme de Annecy à Metz le stop va souvent plus vite. De la même façon, de Lyon à Paris le stop et le train sont à peu près équivalents: le train va plus vite, mais le stop est rapide aussi, et gratuit.
Dans l’ensemble Benoît se sent assez expert pour parcourir la France sans encombre même par mauvais temps. Il prépare ses voyages consciencieusement et évite au maximum les mauvaises surprises. D’autres vont plus loin et pratiquent un stop trans-national.
Robert Prins a fait de longs voyages en stop à travers l’Europe, et il a pris l’habitude de consigner des informations sur ses trajets sous forme de carnets de route précis et méthodiques. L’entretien a été réalisé par e-mail en plusieurs séances successives.
- Que savent les auto-stoppeurs experts qui les aident sur la route?- Ah! Si la question était aussi simple que la réponse! Je peux dire que l’expérience les rend différents, et aussi vrai que ce soit, cela ne t’aidera pas beaucoup. Qu’est-ce que l’expérience? Tu te rappelle peut-être ces deux paragraphes de mon article:
Le jour suivant fut un échec. Après une longue marche pour sortir de Strasbourg, interrompu par un plongeon dans le canal Rhin - Marne, je trouvai enfin un véhicule pour me ramener en Allemagne. Plu tard le même jour dans une station service allemande sur l’autoroute, Raststaette, je fus accueilli vers onze heures du soir par un autre auto-stoppeur avec un "Ah, die Konkurenz ist noch wach!" (Ah, la compétition est toujours debout!). Il m’expliqua qu’il avait quitté le Sud de l’Italie tôt le même jour, ce qui me semblait impossible à moi qui ne m’étais probablement jamais rendu aussi loin aussi vite. "Quel est ton secret?" lui demandai-je. Il s’avéra que la réponse était assez simple: "Démarche les conducteurs aux pompes à essence!".
Cela résume assez bien la différence entre un novice et un stoppeur expert.
Effectivement le fait de démarcher activement les automobilistes, et de faire du stop à des endroits où un tel démarchage est possible, est une des clefs du succès en stop. Plusieurs stoppeurs novices rencontrés au bord des routes ont affirmé être conscients qu’il fallait interroger les conducteurs pour améliorer leurs chances, mais n’être pas très à l’aise avec une telle pratique. Il existe deux philosophies distinctes du stop: la première considérant qu’il vaut mieux poser la question à l’automobiliste et qu’il est ensuite libre d’accepter ou de refuser, mais qu’au moins de cette manière il aura vu le stoppeur, la seconde qu’il vaut mieux laisser l’automobiliste faire le choix seul: il s’arrêtera si il en a envie. Robert, lui, est partisan de l’approche la plus active:
"Limitons l’expérience à mon cas. Qu’est-ce qui me donne un avantage sur tant d’autres stoppeurs? Premièrement ma capacité à approcher de complets étrangers et ma capacité à communiquer avec eux dans leur langue, je parle le hollandais, l’anglais et l’allemand, je connais un peu de français et assez d’italien pour me présenter. Je peux aussi lire, quoi que plus difficilement, du danois et du suédois, mais tout le monde en Scandinavie parle anglais de toute manière. Pour un certain nombre de conducteurs j’ai été leur premier stoppeur, parce que je le leur ai demandé. En fait demander à être pris à bord est à peu près la seule manière d’être pris en stop par des femmes."
L’apparence du stoppeur est bien sûr aussi très importante, les conducteurs ayant plus confiance en un auto-stoppeur au look respectable. Autre possibilité: avoir un look d’auto-stoppeur en espadrilles et short taillé dans un jean si l’on revient d’Europe du Sud. Evidemment certains conducteurs prendront absolument n’importe qui. Les étrangers partent aussi plus vite, ce qui n’est valable que si l’automobiliste a pu entendre le stoppeur parler, puisqu’il n’est pas évident de savoir de quel pays vient le stoppeur simplement en le regardant, même si certains indiquent clairement leur nationalité à l’aide d’un drapeau cousu sur leur sac à dos.
"Beaucoup de conducteurs m’ont expliqué qu’ils hésiteraient à prendre en stop un compatriote, mais qu’ils étaient prêts à faire une exception pour moi, puisque je suis étranger et que je n’ai pas l’air dangereux."
De la même manière le stop est très peu usité au Japon, mais les automobilistes s’arrêteront pour prendre un stoppeur étranger, s’empressant de le ramener vers une gare ou un arrêt de bus.
Robert choisit d’accepter ou de refuser certains véhicules en fonction de critères simples: si il se trouve sur des routes secondaires il accepte tous les véhicules sauf si il sait que la destination est un cul-de-sac, si il est sur l’autoroute il n’accepte que les véhicules qui peuvent l’emmener jusqu’à une autre station service ou jusqu’au meilleur endroit d’où repartir. Il se sert de cartes pour définir son itinéraire – en Allemagne les cartes gratuites fournies par les offices de tourisme, en Italie une carte listant toutes les stations services.
Robert Prins a consciencieusement consigné un nombre impressionnant de détails sur les trajets qu’il a réalisé de 1980 à aujourd’hui, ce qui représente une source d’information unique. Les jours où il fait du stop il utilise des formulaires sur lesquels il reporte l’heure à laquelle il commence à faire du stop, l’heure à laquelle il arrête, l’heure exacte où il est pris par un automobiliste et celle à laquelle il est déposé, les lieux où il est pris et ceux où il est déposé. Il note aussi le temps d’arrêt des véhicules alors qu’il est à l’intérieur (pompe à essence, pause déjeuner, ...), le temps qu’il passe à dormir à l’intérieur d’un véhicule. Il peut ainsi calculer son temps moyen d’attente quotidien (une fois soustrait le temps passé à faire autre chose que du stop durant un voyage en stop: visiter une ville par exemple). Il connaît aussi par ce biais sa vitesse de déplacement en stop. Le tableau ci-dessous résume l’ensemble des informations disponibles de 1980 à 1998.
Année | Jour | Véhicules | KM | Temps | Vitesse |
---|---|---|---|---|---|
1980 | 12 | 47 | 2 981.2 | 33:44 | 88.4 |
1981 | - | - | - | - | - |
1982 | 20 | 98 | 7 902.6 | 95:29 | 82.8 |
1983 | 25 | 107 | 12 021.6 | 139:00 | 86.5 |
1984 | - | - | - | - | - |
1985 | 13 | 56 | 8 529.9 | 93:34 | 91.2 |
1986 | 7 | 20 | 5 903.7 | 60:51 | 97.0 |
1987 | 2 | 10 | 1 951.7 | 21:01 | 92.9 |
1988 | 11 | 41 | 8 152.8 | 86:08 | 94.7 |
1989 | 8 | 28 | 6 528.1 | 63:55 | 102.1 |
1990 | 29 | 108 | 15 346.3 | 169:50 | 90.4 |
1991 | 10 | 64 | 6 120.6 | 55:52 | 109.6 |
1992 | 18 | 109 | 11 389.0 | 111:51 | 101.8 |
1993 | 18 | 108 | 13 186.1 | 124:15 | 106.1 |
1994 | 19 | 130 | 15 542.9 | 151:27 | 102.6 |
1995 | 28 | 162 | 21 593.5 | 193:52 | 111.4 |
1996 | 14 | 84 | 10 384.7 | 89:26 | 116.1 |
1997 | 5 | 37 | 4 548.8 | 40:48 | 111.5 |
1998 | 8 | 44 | 5 395.5 | 50:31 | 106.8 |
Total | 247 | 1 253 | 157 478.0 | 1 581:34 | - |
Moyenne | 13 | 66 | 8 288.3 | 83:14 | 99.6 |
Sur la période 1980-1998, Robert a parcouru en stop 157 478 kilomètres, soit une moyenne de 8 288 kilomètres par an. Il a passé 247 jours sur la route, 1 581 heures, soit des journées moyennes de stop de plus de six heures: Robert Prins se sert du stop pour couvrir de longues distances, notamment de Hollande en Grèce ; il passe alors plusieurs jours à temps plein sur la route. Durant le reste de l’année il utilise d’autres modes de transport pour se déplacer et ne recourt pas au stop.
Son utilisation du stop n’est pas régulière d’année en année puisqu’il utilise pour la première fois le stop sur de très grandes distances en 1982 et 1983, s’en sert beaucoup de 1992 à 1995 – qui représentent un maxima avec 21 593 kilomètres parcourus – et relativement moins depuis qu’il travaille. Sur la période 1980-1998 il a tout de même sept fois dépassé les 10 000 kilomètres annuels ; l’expertise de Robert Prins ne fait aucun doute au regard du temps passé sur la route.
Bien sûr les années où il a parcouru le plus de kilomètres sont aussi celles où il a passé le plus de temps sur la route, mais en croisant les deux on obtient une information intéressante: sa vitesse moyenne annuelle.
Elle varie énormément durant ces dix-huit années sur la route. En 1980 elle atteint 88 kilomètres/heure, ce qui est très respectable: puisqu’il fait des voyages longs, dès le début il circule principalement sur autoroutes. En 1982 et 1983 sa vitesse diminue alors que la distance qu’il parcourt augmente considérablement, mais ensuite elle augmente de manière relativement régulière. L’augmentation est significative entre 1980 à 1998.
Si l’on ne prend en compte que les années où il a fait du stop, excluant donc 1981 et 1984, sa vitesse moyenne de déplacement est de 100 kilomètres/heure, et la tendance est très nettement à la hausse comme le montre le graphique ci-dessus, vitesse moyenne annuelle corrigée 1980-1998. La vitesse des automobiles n’ayant pas évolué sensiblement durant cette période, l’explication se situe à un autre niveau.
L’intéressé lui-même explique que à partir de 1991 il a évité durant ses voyages les pays trop "lents"; en particulier il ne traverse plus la Yougoslavie pour des raison évidentes pour se rendre en Grèce mais il passe par l’Italie où la vitesse moyenne en stop est au moins dix kilomètres plus rapide d’après lui.
En 1990 sa vitesse moyenne chute aux alentours de 90 kilomètres heure à cause d’un voyage De Bilt – Stockholm – Turquie (jusqu’à la frontière avec l’URSS) – Athènes – DB. Sa vitesse en Turquie avoisine les 70 km/h, et ce n’est que grâce à deux véhicules à bord desquels il a parcouru plus de 2000 kilomètres que la vitesse remonte jusqu’à 90 kilomètres heure.
Nonobstant ces deux causes qui ont fait baisser sa vitesse moyenne annuelle au début des années quatre-vingt, l’augmentation quasi continue de sa vitesse de déplacement depuis ne s’explique que par le fait qu’il a acquis une expérience du stop qui lui a permis de faire des progrès considérables en évitant les régions où le stop est trop lent, en évitant de se faire déposer dans des lieux où l’attente risquerait d’être trop longue, et en sachant trouver les bons conducteurs par un démarchage efficace. Il n’est pas irréaliste de penser que si Robert a autant accéléré au fil des années grâce à l’acquisition d’un savoir-faire, les autres stoppeurs experts ont pu faire de même dans une plus ou moins large mesure.
Robert ne fait pas du stop toute l’année, il commence doucement en avril, circule principalement de mai à septembre, et s’interrompt durant l’automne et l’hiver: quatre–vingt-quatorze pour cent de son temps sur la route se situe de avril à septembre, quand le climat est relativement clément ; il ne circule pour ainsi dire pas en stop le reste de l’année.
Il est pris en stop principalement entre huit heures et vingt–deux heures c’est-à-dire, puisqu’il circule au printemps et en été, durant la journée. L’heure prise en compte ici est l’heure où un automobiliste le prend à bord, et non celle où il le dépose, ce qui explique que les valeurs les plus fortes se situent de neuf heure à onze heure puisque pour tout long trajet il part tôt le matin ; de la même manière les valeurs diminuent à partir de vingt et une heures puisque s’il est pris disons à vingt heures sa journée de stop s’allonge encore du temps passé à bord du véhicule et il peut tout à fait être en train de rouler à vingt-deux heures. Simplement il n’est plus au bord de la route.
Les informations fournies par Robert Prins sont cruciales puisqu’elles permettent de mieux se représenter ce que pratiquer le stop de façon intensive pendant des années veut dire. Le stop sort ainsi du flou où il était cantonné par le manque d’informations précises et l’on ne peut que regretter que Robert Prins soit la seule personne connue à avoir accumulé autant d’informations sur sa carrière d’auto-stoppeur.
"Cross–country hitchhiking offers potentially rich and diverse experiences which may take the form of a "romantic mystique" to some."Franzoi 1985.
Certains auto-stoppeurs réalisent une quête, un besoin d’aventure, en parcourant le monde ou l’Europe en stop durant des mois ou des années. Ils mènent une vie nomade et frugale avant de revenir à la civilisation un beau jour. Cette quête de soi a animé André Brugiroux, l’auteur de La route (1986) pendant six ans qu’il a passés à réaliser un tour du monde en stop et en solitaire.
"J’ai choisi l’auto–stop qui, avec la marche, constitue le meilleur moyen d’approcher les hommes. [...] Pour moi le stop a toujours été une chose naturelle. Cependant, il existe une technique qui, elle, s’acquiert avec l’expérience. [...] En Australie, le pouce doit être tendu vers le bas sinon votre geste passera pour une insulte! En Israël, il faut pointer l’index vers le bitume, bras tendu à 45°. En Afrique noire, par exemple, il suffit d’agiter la main, en signe amical: "Eh! Arrête–toi, mon frère!" C’est ce qui se produit généralement."
Le stop se pratique différemment suivant les pays. Bien souvent quand André Brugiroux les traverse le stop y est encore inconnu et se poser au bord de la route le pouce tendu ne suffit pas, il vaut bien mieux aller vers les conducteurs, chercher à établir le contact.
Arrivé dans un pays nouveau, André Brugiroux s’informe auprès des routards locaux pour connaître les conditions locales et ainsi éviter de se retrouver dans des situations insolubles:
"Les meilleurs renseignements, les "tuyaux" se prennent au bord de la route auprès des autres routards. [...] Celui qui a été escroqué par un rabatteur douteux, qui a subit une bastonnade ou est resté enfermé six mois en prison pour avoir franchi une frontière secrète qu’aucun panneau n’interdisait saura vous en avertir! Il existe une confrérie du bord de route, fluide et fraternelle, un réseau sans frontière ni conventions avec ses propres points de chute, couvrant la planète, qui constitue, à mon avis, la meilleure source d’informations dans un monde ou tout change très vite."
Le stop, lorsqu’il est pratiqué en tant que mode de vie, est utile pour se déplacer mais le déplacement ne constitue pas un objectif, il est un prétexte à la rencontre, une manière simple et directe de rentrer en contact avec les populations locales.
"En dehors des routiers et des représentants de commerce, seigneurs de la route, cherchant de la compagnie pour briser la monotonie de leurs longs parcours, je n’ai pas pu dresser de liste, tant les chauffeurs sont hétéroclites. Certes, les militaires (d’échelon inférieur surtout), les étudiants et les "hippies " semblent enclins à s’arrêter plus facilement. Les paysans aussi mais ils ne vont jamais très loin. Ils sillonnent principalement leur canton et pilotent la plupart du temps des tracteurs, mode de locomotion bruyant, malodorant, peu confortable et peu rapide. Ils ont le geste invitant, geste qui me réchauffait toujours le cœur même si je ne grimpais pas. L’attente est parfois pénible et j’appréciais aussi certains chauffeurs qui n’allaient pas dans ma direction mais s’arrêtaient tout de même pour faire un brin de causette. Il y a celui qui, comme moi, a pratiqué le stop et comprend parfaitement le problème, et le père de famille qui, lui, ne comprend pas grand–chose à "cette jeunesse", mais dont les enfants sont sur la route. Un maharaja, en Malaisie, a stoppé sa superbe Rolls et la caravane de Volkswagen–Combi blanches qui la suivait. Il m’a royalement logé dans la deuxième avec les cannes de golf. J’ai connu des roulottes de gitans: on s’arrêtait dans les champs pour laver le linge et le faire sécher. Et la camionnette–laboratoire d’un savant qui enregistrait sur bande magnétique les appels amoureux des crapauds mâles d’un étang pour aller les passer à des mille de là afin de voir si les femelles du coin allaient venir faire l’amour avec son appareil! J’ai connu également le maquereau qui véhiculait sa femme sur l’autoroute pour la prostituer aux camionneurs, le bébé étant fermement épinglé sur la banquette arrière. Et des trafiquants de pierres précieuses à Ceylan qui allaient approvisionner leurs camps secrets en nourriture au beau milieu de la jungle ainsi que les Jeeps des Patrouilles israéliennes le long du Jourdain et celles des feddayin armés jusqu’aux dents de l’autre côté. Bref, un échantillonnage étonnant, du ministre au révolutionnaire en passant par Monsieur le curé, le champion de judo et la cantatrice renommée, échantillonnage impossible à rencontrer dans la vie courante." Pour en revenir à l’aspect déplacement, " faire du stop " ne consiste pas uniquement à lever le pouce mais à trouver le moyen le plus avantageux de se déplacer."
Il est intéressant à partir de ces récits de chercher à dresser une sorte de typologie des divers types de stop.
Le cas le plus courant est celui du stop de proximité motivé par des raisons économiques ou en cas de déficience des transports en commun, en zone rurale notamment. Il s’agit plutôt d’un stop d’appoint qui vient compléter les transports en commun, le stoppeur se déplace en territoire connu, les distances parcourues sont faibles et il s’applique tout particulièrement aux débutants.
Moins pratiqué est le stop pendulaire, quotidiennement ou hebdomadairement le stoppeur s’en sert pour se rendre sur leur lieu de travail ou pour rentrer chez ses parents le week-end, dans ce cas la fréquence à laquelle il parcoure son itinéraire fait qu’il accumule beaucoup de kilomètres, qu’ils connaît très bien cet itinéraire-là, mais qu’il leur reste encore à franchir un seuil supplémentaire en partant faire du stop sur d’autres routes avant qu’il ne puisse être qualifiés d’expert.
Le stoppeur systématique pratiquera un stop tous azimuts parce qu’il juge qu’un véhicule personnel ou l’usage des transports en commun revient trop cher. Pour lui le stop répond à un besoin fort de mobilité, s’il ne l’utilisait pas il se déplacerait moins souvent, moins loin. Il parcourt un grand nombre de kilomètres, toute occasion lui est bonne.
Le voyageur circulera durant l’année à bord de son propre véhicule ou de transports en commun mais utilisera le stop durant ses congés pour voyager, une alternative économique et aventureuse au ticket Inter rail. Il préfère se déplacer en stop pour pouvoir partir longtemps à peu de frais plutôt que de prendre le train ou l’avion dont le coût grèverait son budget de vacances. S’il ne fait du stop que pendant de courtes périodes par contre les voyages qu’il fait peuvent l’emmener très loin, très en dehors de son espace de proximité, et il accumule en quelques semaines par an un grand nombre de kilomètres. Le stoppeur de vacance peut aussi occasionnellement s’en servir durant l’année pour partir en week-end à quelques heures de chez lui sur un coup de tête sans bourse délier. S’il ne le faisait pas en stop, il n’irait pas, il s’agit d’un gain de mobilité au sens strict.
Enfin le vagabond relève d’une logique différente, pour lui le stop n’est pas un mode de transport mais un mode de vie, il l’utilise pour lier connaissance autant que pour se déplacer et ne se dirige pas vers un objectif précis puisque son périple peut durer des mois, voire des années. Il accumule au fil du temps un nombre impressionnant de kilomètres.
Tous ces stoppeurs, même s’ils ne pratiquent pas tous le stop de manière aussi intense, partagent une même vision du territoire, un même savoir-faire, nécessaire pour se déplacer dans de bonnes conditions.
"Péage, station–service, lecture instantanée des plaques d’immatriculation. Ma technique est bien huilée."
Wagner, 1998
Quelles que soient les motivations du stoppeur, quête initiatique, besoin d’aventure, nécessité économique ou challenge sportif, le stop est un mode de transport dont l’usage correct nécessite de connaître certaines règles qui permettent de se déplacer dans des conditions acceptables. Ces règles permettent de se déplacer dans de bonnes conditions et leur maîtrise est un élément essentiel de l’expérience du stoppeur.
Les études qui lui ont été consacrées se sont peu attachées à l’aspect spatial, au déplacement à proprement parlé. Elles se sont concentrées surtout sur la description des populations utilisatrices, sur les dangers réels ou imaginaires à se déplacer en stop... en considérant toujours comme acquis le stop lui–même, sa technique. Seules les manuels sur comment faire du stop s’intéressent à sa pratique spatiale et aux trajets à privilégier (Calder, 1985).
En fait les auteurs des trop rares études sur le stop sont des stoppeurs confirmés qui ont totalement intégré le stop et considèrent comme acquises les techniques qu’ils emploient. Ils n’ont pas su ou n’ont pas trouvé nécessaire de s’intéresser aux aspects spatiaux du stop, leur problématique étant soit sociologique soit psychologique, mais jamais géographique. Le stop en tant que mode de transport reste marginal et mystérieux puisqu’il n’est pas quantifié, on ne sait pas combien de personnes utilisent le stop ni comment ils couplent le stop avec d’autres modes de transport.
Pourtant le stop est intimement lié à l’espace et au territoire: le stoppeur décide dans quel cas il fait du stop et dans quel cas il préfère un autre mode de transport ; d’où il part, quels trajets il accepte et lesquels il refuse; à quel endroit il demande à se faire déposer, il prévoit un trajet modèle avant de partir et des alternatives valables puis il réalise des choix de lieux et de trajets en permanence le long de la route qui nécessitent qu’il soit familiarisé avec l’espace qu’il traverse pour ne pas se retrouver perdu dans une zone d’où il aura du mal à repartir.
Pour pouvoir se déplacer dans de bonnes conditions le stoppeur doit maîtriser le stop dans sa complexité, en particulier le passage d’un véhicule à l’autre. La connaissance de l’espace est un pré-requis mais n’est pas suffisant: il faut aussi avoir une idée des flux de véhicules, savoir où vont ceux qui passent, et si ils peuvent approcher le stoppeur de sa destination.
L’objectif est ici de formuler celles de ces règles expertes qui relèvent de la gestion de l’espace. Le postulat est que le stoppeur qui utilise le stop en tant que mode de transport pour se rendre d’un lieu à un autre cherche à le faire dans les meilleures conditions possibles, ce qui veut dire en un temps minimum, en attendant le moins possible, et dans des conditions de confort acceptables, y compris sur les lieux d’attente. Si le stoppeur expert parcourt un nombre important de kilomètres en stop, c’est grâce à son savoir-faire qui lui permet d’atteindre ces objectifs.
Le lieu de départ est le lieu d’où part le stoppeur, et peut être confondu avec ce que l’on appellera son lieu de décollage, au sens de décollage du bord de la route si par exemple il commence à faire du stop en bas de son immeuble mais il sera très probablement distinct, le stoppeur cherchant à optimiser ses chances de départ en se positionnant sur un lieu de décollage précis quitte à parcourir une certaine distance pour se rendre de son lieu de départ à son lieu de décollage.
Cette distance il la parcourt à pied, en transport en commun ou bien il se fait accompagner en voiture par de la famille ou un ami vers ce qui est son véritable lieu de décollage en stop.
A l’autre bout de la route se trouve son lieu d’atterrissage et son lieu d’arrivée, qui là aussi sont souvent distincts sauf si le dernier conducteur dépose le stoppeur exactement à son lieu d’arrivée parce qu’il y allait lui–même, passait devant, ou encore parce qu’il a fait un détour.
Le dernier lieu où est déposé le stoppeur devient le lieu d’atterrissage à partir du moment où le stoppeur juge plus efficace de couvrir la distance restante autrement qu’en stop, c’est-à-dire à pied ou en transport en commun ; à moins qu’il appelle pour qu’on vienne le chercher. " Lieu d’atterrissage " par symétrie avec le lieu de décollage puisque c’est là que le stoppeur reprend contact avec la route.
Entre le lieu de décollage et le lieu d’atterrissage peuvent se trouver des lieux intermédiaires plus ou moins nombreux selon que le stoppeur a circulé à bord d’un seul véhicule, en quel cas il n’y a pas de lieux intermédiaires, ou à bord de plusieurs ce qui l’a obligé à faire des escales.
Si le stoppeur reste sur un lieu intermédiaire donné en attendant qu’un autre conducteur propose de l’emmener plus loin, il n’est pas besoin de détailler plus avant. Par contre s’il se déplace à partir de là autrement qu’en stop, c’est-à-dire à pied ou en transport en commun de ce lieu à un autre lieu d’où il pense qu’il repartira plus facilement, alors on pourra parler de lieu intermédiaire d’atterrissage et de lieu intermédiaire de décollage.
Lieux du stop
Toute l’expérience du stoppeur expert, qui le distingue du néophyte, c’est la manière qu’il a de choisir ses lieux. Ces choix, il les fait en fonction des informations à sa disposition sur les avantages et les inconvénients de tel ou tel lieu.
"To get out of the impossible complexities of Chicago traffic I took a bus to Joliet, Illinois, went by the Joliet pen, stationed myself just outside town after a walk through its leafy rickety street behind, and pointed my way."Kerouac, op. cit.
Il est possible de décoller de tout lieu où passe une route et au moins une voiture, pour peu que celle-ci veuille bien s’arrêter, mais on peut grandement augmenter ses chances de décollage et réduire son temps d’attente en choisissant ses lieux avec un peu plus de discernement.
Le lieu de décollage doit voir passer des véhicules qui se rendent ou passent à un endroit qui rapproche le stoppeur de sa destination. Il est nécessaire d’avoir une idée, même vague, de la nature des flux de véhicules, de savoir s’ils ont la moindre chance d’aller dans la bonne direction. Au moment où le véhicule s’arrête le stoppeur et le conducteur vérifient quasi systématiquement qu’effectivement ils vont dans la même direction.
Pour que le conducteur ait les chances maximales de s’arrêter pour prendre le stoppeur il vaut mieux qu’il soir en train de ralentir ou à très faible vitesse voire qu’il soit déjà à l’arrêt, ce qui lui donne une meilleure opportunité de voir le stoppeur. A contrario inutile d’essayer de faire du stop à un endroit où les automobilistes sont en phase d’accélération ou lancés à pleine vitesse comme sur l’autoroute.
Le lieu de décollage doit être le plus dégagé possible pour laisser au conducteur le temps de voir le stoppeur, de se faire une idée à son égard d’après son allure, de prendre la décision de s’arrêter et de l’appliquer en freinant sans mettre en danger les autres conducteurs. La visibilité est le facteur le plus important, et c’est aussi pour ça que le stoppeur met en place des stratégies sur son aspect, sur la quantité de bagages qu’il transporte ; il tente de donner l’impression qu’il est un stoppeur amical et pas un tueur en série à la recherche de sa prochaine victime.
Si le stoppeur se déplace la nuit, ce que beaucoup considèrent comme devant être évité absolument parce que les conducteurs ont beaucoup moins tendance à s’arrêter et parce que les risques sont bien plus importants, il faut trouver un endroit éclairé.
Autre facteur important, il faut que le véhicule ait la place de s’arrêter sans gêner les autres automobilistes ou risquer de provoquer un accident. Le stoppeur est déjà par nature exposé aux risques d’accident, mieux vaut prendre le plus de précautions possible.
Enfin, l’idéal est d’être protégé de la pluie, du vent, du froid ou des chaleurs excessives, soit en trouvant des abris adaptés, soit en ne faisant pas de stop si les conditions climatiques sont mauvaises.
Le lieu de décollage idéal ressemble furieusement à un abri-bus et c’est d’ailleurs la forme que prennent les points–stop mis en place par exemple par la communauté de communes du plateau de Champagnier près de Grenoble depuis trois ans à l’instigation des élus qui trouvaient que la desserte en transports en commun était insuffisante. Le même type d’initiatives a eu lieu en Angleterre à proximité de certaines universités.
Quand le stoppeur part d’une ville, il cherche à se mettre à l’interface de la ville et du réseau routier puisqu’en centre ville les voitures vont dans trop de directions différentes et les conducteurs ont trop d’informations à prendre en compte pour voir l’auto–stoppeur, sans même parler de s’arrêter.
Hors des grandes agglomérations le problème est différent; le problème de l’interface entre le réseau routier et le réseau urbain n’existe pas.
Les avis des stoppeurs concordent remarquablement puisqu’ils décrivent quasiment toujours les même lieux en tant que lieu de décollage privilégié: feux rouges où les voitures sont à l’arrêt, ce qui permet de tenter de communiquer avec les conducteurs pour optimiser ses chances; ronds points et intersections où les voitures sont au ralenti et donc plus susceptibles de s’arrêter pour prendre un stoppeur.
Pour choisir son lieu de décollage, le stoppeur évalue le temps d’attente qu’il aura une fois arrivé sur son lieu de décollage, le temps qu’il va lui falloir pour s’y rendre et éventuellement le coût du déplacement du lieu de départ au lieu de décollage si il prend un bus ou un métro. Il cherche à trouver le meilleur rapport, c’est-à-dire à réduire au minimum le temps théorique entre le moment où il part de son lieu de départ et celui ou il décolle de son lieu de décollage. Le stoppeur vous dira qu’il sent quel est le meilleur lieu de décollage, il estime le temps de décollage et plus son expertise est importante plus il peut estimer ce temps avec précision au regard de ses expériences passées et des avantages et inconvénients de tel ou tel lieu de décollage.
Peu nombreuses sont les villes françaises où le réseau routier est assez complexe pour que plusieurs lieux de décollage valables existent, même si souvent il existe un bon lieu de décollage et des mauvais. Encore faut-il connaître le bon.
A Paris par exemple la complexité du réseau routier rend le décollage problématique. Avec la carte de la grande banlieue parisienne, il est possible de se faire une première idée, de repérer les stations à essence et les péages où il est possible de se rendre en transport en commun. Certains manuels comme Le manuel du routard permettent de profiter de l’expérience des autres, avec le problème que faute d’un public suffisant de tels manuels sont rarement remis à jour et le réseau routier peut avoir évolué entre le moment où le manuel a été réalisé et celui ou le stoppeur s’en sert. Reste encore la possibilité de se renseigner auprès d’autres stoppeurs pour profiter de leurs connaissances s’ils ont déjà fait le trajet, le premier passage étant toujours le plus difficile. Si le stoppeur veut partir d’ailleurs que des Portes, par exemple d’une station service sur l’autoroute, il faut arriver à rejoindre la station qui a tendance à être difficilement accessible à pied ou en transports en commun puisqu’elle se situe en dehors de la ville et est de plus protégées par des barrières, des grillages. Les cartes donnent une première idée mais elles n’ont pas été pensées dans l’optique d’un auto-stoppeur et la réalité se révèle presque toujours plus complexe ; par exemple la station visée peut être située entre deux autoroutes, ce qui constitue une barrière parfaitement infranchissable. En zone rurale les stations essences sont moins barricadées et consistent souvent en un bon lieu de décollage.
A Paris, une station essence est accessible assez simplement, sur l’autoroute A 16 vers Beauvais, Amiens et Calais. A la sortie du tramway il suffit de traverser un pâté d’immeubles puis de passer à travers le grillage qui entoure la station dans lequel il y a toujours un passage, même si le propriétaire de la station mène un combat sans fin contre les perceurs de grillage.
L’autre ville française d’où le départ est difficile est Lyon, qui est réputée être un des points noirs d’Europe pour le stop. Lyon permet de rejoindre Paris, Marseille ou les Alpes mais à chaque fois il faut bien connaître pour espérer partir assez rapidement. Vers Paris un bus dépose à proximité d’une station essence d’où il sera facile de décoller, de même vers Marseille. Inutile de se positionner en ville, l’attente est de plusieurs heures. Vers Annecy ou Chambéry, faute de station service accessible, il faut se positionner juste avant l’entrée de l’autoroute.
De manière générale le stoppeur recherche l’interface entre le réseau de voirie urbaine et le réseau routier. Comme toute règle, celle-ci connaît des exceptions, comme Le Havre à l’histoire un peu particulière. Reconstruite en grande partie après la guerre, Le Havre a été repensée du point de vue automobile et les intersections de route ne sont pas à niveau, ce qui complique le départ. Le meilleur lieu de décollage est donc pour une fois le centre ville.
Prenons un lieu de départ fréquent: Paris. Un trajet courant: le sud, vers la Côte d’Azur. La complexité du réseau routier parisien fait qu’il existe plusieurs lieux de décollage convenables. Les autoroutes partent directement de Paris, le stoppeur évite ainsi le passage par route nationale qui est généralement requis pour rejoindre le réseau autoroutier.
Le lieu de décollage le plus connu, celui conseillé par l’office du tourisme aux stoppeurs étrangers, est la Porte d’Orléans qui possède de nombreux avantages. Elle a un concurrent non négligeable: la Porte d’Italie qui compense un moins grand volume de flux par une plus grande facilité à établir le contact avec les automobilistes.
Si ces deux lieux de décollage sont les plus évidents, les plus couramment utilisés par les stoppeurs, ils sont loin d’être les seuls. Certains n’hésiteront pas à choisir un lieu de décollage très à l’extérieur de la ville, comme la zone industrielle de Massy-Palaiseau (Wagner, 1998) ou une station à essence à trente minutes à pied de la station de train de banlieue de Villabet en zone 6. Ce type de lieu de décollage très à l’extérieur de la ville est bien sûr moins utilisé car moins connu et plus long à atteindre mais a l’avantage qu’une fois rendu sur le lieu de décollage le stoppeur est sûr qu’il y sera seul et qu’il a un flux pur sans trafic local puisqu’il part de l’autoroute. Le stoppeur évite la première étape, celle qui consiste à atteindre l’autoroute en stop.
En règle générale les stoppeurs vont surtout chercher à parcourir une distance minimale entre le lieu de départ et le lieu de décollage, ce qui à Paris veut dire, pour aller vers Lyon ou au sud de Lyon, choisir entre la Porte d’Orléans et la Porte d’Italie d’où l’on décolle tout de même relativement vite.
Porte d’Orléans
Extrait de la carte Michelin "Banlieue de Paris Sud–Ouest" au 1/15000ème. Collection bleue des plans de ville Michelin.
La Porte d’Orléans est facilement accessible grâce à l’arrêt Porte d’Orléans, terminus sud de la ligne 4 de métro. De la station de métro il suffit de prendre la rue Henri Ginoux puis le boulevard Romain Rolland jusqu’à l’intersection avec l’avenue Aristide Briand, moins de cinq minutes de marche.
Le lieu de décollage idéal est le feu rouge qui marque l’intersection. La chaussée est divisée en six voies, les trois de droite ne sont pas intéressantes, une part non négligeable des conducteurs tournant dans l’avenue Aristide-Briand ou un peu plus loin sur le boulevard Romain-Rolland (qui change de nom pour s’appeler avenue du Dr Lannelongue ). Ce sont les trois voies de gauche qui sont ici intéressantes puisque les conducteurs vont dans la bonne direction, vers l’A6 (ou E5 d’après la nomenclature européenne).
Les flux sont importants mais la présence du feu met le stoppeur dans une situation idéale. Après, à chacun de faire selon sa philosophie, soit en attendant passivement qu’un conducteur propose de prendre le stoppeur, soit en interpellant les conducteurs à l’arrêt.
Porte d’Italie
Extrait de la carte Michelin "Banlieue de Paris Sud–Ouest" au 1/15000ème. Collection bleue des plans de ville Michelin.
Là aussi le métro (ligne 7 station Porte d’Italie) permet un accès simple, ensuite dix minutes de marche amènent le stoppeur à son lieu de décollage.
Rond Point de la Porte d’Italie
Informations disponibles sur les panneaux de signalisation
Le stoppeur qui arrive à la Porte d’Italie doit choisir son lieu de décollage. Il peut décider de se positionner au feu rouge au niveau de la station essence avant le rond-point, ou interpeller les conducteurs à la station essence. Ces deux solutions sont peu adaptées, puisque le flux de véhicules n’est pas encore trié, la plupart des automobilistes passant par ces deux points se rendant ensuite sur le périphérique ou vers le Kremlin-Bicêtre. De plus le flux venant du Kremlin-Bicêtre et prenant l’autoroute est perdu. Ceux qui veulent faire du stop passif se positionnent parfois au feu au niveau de la station service mais dans ce cas ils auraient été mieux inspirés de partir de la Porte d’Orléans.
Pas très adaptée non plus, l’entrée du périphérique, l’itinéraire bleu pour Lyon. Si un automobiliste décidait de s’arrêter pour prendre un stoppeur il créerait une situation dangereuse vis-à-vis des autres automobilistes qui sont en phase d’accélération pour s’insérer dans le flot du périphérique. D’ailleurs aucun stoppeur ne se positionne à cet endroit.
L’initié saura qu’il faut passer la station essence et le rond point pour descendre le long de la rampe d’accès vers un feu rouge providentiel. Un trottoir permet de le faire en toute sécurité. En bas de la rampe, après une ultime bifurcation qui va vers l’Hay les Roses et Arcueil, le flux est très trié. Le lieu de décollage est moins exposé que celui de la Porte d’Orléans, il se trouve sous un pont. Le flux est moins important, par contre la proportion des automobilistes se rendant en banlieue semble moins forte. Ce lieu de décollage est moins intéressant que la Porte d’Orléans pour un stoppeur passif, les conducteurs qui arrivent ne le voient pas de loin, par contre la durée du feu et l’étroitesse de la route font que les automobilistes sont à l’arrêt longtemps et groupés, ce qui facilite le démarchage.
Intersection de décollage de la Porte d’Italie
Le carrefour n’est pas assez complexe pour monopoliser l’attention des conducteurs au point qu’ils ne voient pas le stoppeur, la circulation est fluide grâce au rond-point et aux autres feux en amont comme celui se trouvant à la sortie du rond-point. Tous ces avantages ajoutés à la facilité d’accès de la Porte d’Italie en métro en font un bon lieu de décollage, une alternative sérieuse à la très connue Porte d’Orléans.
Le lieu d’atterrissage est le lieu à partir duquel le stoppeur considère qu’il a plus intérêt à continuer à pied ou en transport en commun qu’à chercher un autre véhicule, soit parce qu’il a été déposé à l’entrée d’une ville et que faire du stop en ville est trop complexe et totalement inusité, donc il vaut mieux continuer autrement, soit parce que la distance restante est trop courte pour se donner la peine d’attendre un véhicule idoine.
Faire du stop sur de petites distances revient à prendre le conducteur pour un taxi gratuit, puisque si la distance est trop courte il ne se passe rien, aucune conversation ne s’engage. Ce type de stop très court peut fonctionner sur des trajets précis, comme sur les deux kilomètres séparant une université d’une ville ; là les conducteurs savent de quoi il retourne et ils s’arrêtent bien plus pour rendre service que pour lier conversation.
Dans le cas d’un trajet assez long pour que le conducteur et le stoppeur aient pu discuter et faire connaissance dans l’idéal le conducteur peut proposer de faire un léger détour qui fera coïncider le lieu d’atterrissage avec le lieu d’arrivée, d’autant plus s’il apparaît clairement que le stoppeur aura le plus grand mal à retrouver un véhicule comme de nuit, sous la pluie ou dans des zones quasi désertes. Après tout les raisons qui ont fait que le conducteur a pris le stoppeur feront qu’il aura moins tendance à le laisser planté au bord de la route si les conditions sont mauvaises, il ne s’agit pas de transport en commun et les conducteurs peuvent ressentir une certaine responsabilité vis-à-vis de leur passager stoppeur.
Les stoppeurs expliquent volontiers que les plus à même de faire un détour sont les anciens stoppeurs qui savent qu’un détour de deux minutes en voiture correspond à vingt minutes de marche, ou les mères de familles dont un des enfants pratique le stop... en fait tous ceux qui ont tendance à s’arrêter en premier lieu.
La distance acceptable entre le lieu d’atterrissage et le lieu d’arrivée est une question de bon sens. On acceptera ou refusera une voiture qui propose de déposer à un endroit donné de la ville d’arrivée en fonction de la distance à parcourir globale et du nombre de voitures susceptible d’y emmener le stoppeur. Tout dépend aussi de la nature du lieu d’arrivée, selon que ce soit une ville bien équipée en transports en commun, un lieu où quelqu’un peut venir chercher le stoppeur ou une zone rurale profonde où le dernier automobiliste fait toute la différence, puisque après on ne verra passer personne d’autre.
En principe le stop n’est pas un moyen de transport très précis, surtout une fois sorti du réseau d’autoroutes, et le fait d’arriver dans la bonne ville suffit mais certains pourront trouver plus malin de se faire déposer avant la ville en question, là où ils savent qu’ils n’auront pas de mal à repartir en choisissant un conducteur qui les amènera au plus près, plutôt que de finir le trajet avec le conducteur en cours pour se retrouver du mauvais coté de la ville ou loin du lieu d’arrivée. Ils se diront aussi qu’en se faisant déposer avant il leur restera encore du chemin à parcourir avec le dernier conducteur, assez pour que celui–ci pense qu’il a eu raison de s’arrêter.
De cette manière le stoppeur venant de la Vallée d’Aigues au pied du Lubéron et cherchant à se rendre à Aix en Provence en stop, soit une trentaine de kilomètres, pourra demander à un conducteur se rendant à Marseille de le déposer à la sortie de Pertuis alors même que le conducteur allant à Marseille passe forcément à proximité immédiate de Aix. Cependant pour se rendre de la sortie d’autoroute au centre d’Aix à pied il faudra vingt minutes, alors qu’en se faisant déposer à la sortie de Pertuis il faudra en moyenne moins de cinq minutes pour retrouver un automobiliste se rendant directement dans le centre d’Aix: la sortie de Pertuis est idéale pour le stop vers Aix ou Marseille. Des voies cyclables inutilisés en bord de route permettent à l’auto–stoppeur d’être visible et à l’automobiliste de s’arrêter sans danger. De plus il est de notoriété publique que les stoppeurs se trouvant là sont souvent des étudiants cherchant à retourner à Aix qui compte 35 000 étudiants et les automobilistes se rendant vers Aix s’attendent à les y trouver. Les cinq minutes d’attente moyenne à la sortie de Pertuis permettent d’éviter vingt minutes de marche du lieu d’atterrissage au lieu d’arrivée à Aix.
Vallée d’Aigues – Aix en Provence
Le stoppeur expert qui connaît bien les lieux par lesquels il est amené à passer peut ainsi chercher à gagner du temps, il circule grâce à la vague de véhicules. Ici le gain probable n’est que d’un quart d’heure, avec le risque de mettre plus longtemps que prévu à repartir de Pertuis, mais il illustre bien les évaluations auxquelles se prête le stoppeur quand il doit déterminer son itinéraire, accepter ou refuser des automobilistes. Pour faire coïncider au maximum le lieu d’atterrissage et le lieu d’arrivée, c’est en fait sur les lieux intermédiaires que le stoppeur peut chercher à jouer. Une fois arrivé à proximité immédiate de son objectif il est trop tard, "proximité" s’entend ici pour l’automobiliste, car ce qui est proche en voiture peut ne pas vraiment l’être à pied.
Il peut n’y avoir aucun lieu intermédiaire si le stoppeur est emmené de son lieu de décollage à son lieu d’atterrissage par un seul automobiliste comme il peut y en avoir plusieurs. Il faut considérer que le stoppeur fait son trajet d’une traite ou que du moins il avait l’intention de le faire d’une traite. Si il prévoit de s’arrêter pour la nuit le problème n’est pas le même. En fait dans le cas où il a prévu dès le départ dans quel lieu il passerait la nuit, ce lieu peu être assimilé à un lieu d’atterrissage. A l’inverse s’il sait qu’il va passer plusieurs jours sur la route mais en s’arrêtant dans n’importe quel lieu la nuit, il ne pense pas autant son trajet et se laisse bien plus guider par les automobilistes, ce qui relève d’un type de stop bien particulier, vagabond, qui ne s’appuie pas autant sur les lieux et les trajets mais se contente de circuler selon l’inspiration du moment avec des objectifs vagues et lointains.
Donc dans le cas d’un stoppeur qui veut se rendre rapidement sur son lieu d’arrivée, il lui faut choisir avec discernement ses lieux intermédiaires. Soit il les choisit à l’avance et essaie de s’y tenir, surtout si il n’est pas très familier avec la route à suivre, soit il improvise au fur et à mesure en faisant confiance à sa connaissance de l’endroit ou en se laissant guider par les avis des conducteurs au risque d’être déposé sur un lieu intermédiaire où il restera plus longtemps que prévu. La part de détermination et d’improvisation varie d’un stoppeur à l’autre.
Il vaut mieux rester le plus possible sur les autoroutes qui possèdent les deux meilleurs lieux intermédiaires possibles: les barrières de péage et les stations service qui sont indiquées par exemple sur la carte 911 Michelin, France, grands itinéraires, temps de parcours, itinéraires de dégagement, prévisions de circulation ou dans le guide Michelin 914 France Atlas autoroutier qui de plus distingue les stations essence des aires de repos.
"Toujours grâce à ma carte des stations d’autoroute, je sais que pour rester dans des conditions optimales je dois demander à être déposé à la dernière station avant que le conducteur ne sorte. Certaines stations refusent de laisser les stoppeurs aller sur les aires où les conducteurs prennent de l’essence, comme la station de Beaunetaillis, où on ne peut démarcher que les conducteurs venant à la boutique puisque les pompes comme la caisse utilisée en cas d’affluence sont terra non grata. Sachant cela, le truc consiste à laisser son sac à dos et sa pancarte contre le magasin, et à aller démarcher le plus discrètement possible les conducteurs aux pompes sans se faire remarquer. [...] Il faut encore savoir, quand on s’arrête sur une station, si elle voit passer beaucoup de voitures ou non, ce qui dépend entre autre de l’époque: cela vient avec l’expérience."Benoît Pierret
Station service comme barrière de péage présentent des avantages indéniables: les conducteurs sont à l’arrêt, les flux sont purs, les voitures sont canalisées et on peut appréhender relativement précisément la nature des flux en sachant où mène l’autoroute. De plus le stoppeur est à l’abri des intempéries, en tout cas de la pluie.
Seul problème mais de taille: le stop jugé trop dangereux n’est pas autorisé aux barrières de péage et difficilement toléré sur les stations service, certains responsables ou la gendarmerie repoussent les stoppeurs, mais le jeu en vaut la chandelle.
"Le péage, c’est vraiment le must du stoppeur. Tout le monde y passe et tout le monde s’y arrête. Y’a pas, c’est the best of the best. [...] Revers de la médaille, c’est en général interdit."Wagner, 1998
Le péage de Villefranche situé à 30 km au nord-est de Lyon permet de rejoindre facilement l’Ile-de-France puisqu’il est le passage obligé de tous ceux venant des régions au Sud de Lyon. A l’ouest se trouve la guérite du responsable de péage et la gendarmerie, c’est-à-dire dans le sens Paris - Lyon. Elle est donc plus pratique dans le sens Lyon - Paris puisque le stoppeur n’est visible ni de la guérite ni de la gendarmerie, il pourra chercher à re-décoller directement de la barrière de péage. Pour les plus prudents ou les plus respectueux il est possible de se positionner sur le parking juste après le péage mais les arrêts sont peu fréquents sauf quelques camions en pause obligatoire et quelques familles en pause détente. Le parking est particulièrement peu recommandé dans le sens Paris - Lyon pour ceux se rendant plus au sud car peu d’automobilistes s’arrêtent ici, juste avant Lyon.
Au pire si le responsable de barrière est motivé il demandera aux stoppeurs de se positionner sur le parking après la barrière, ce qui supprime tout intérêt au lieu mais laisse encore de l’espoir. Certains gérants de péage sont très portés sur la chasse au stoppeur, en particulier celui du péage de Verpière au Sud de Lyon qui, positionné dans une guérite au centre du péage, s’est fait une spécialité de la chasse aux stoppeurs qu’il renvoie sans état d’âme sur le parking après la barrière, ce qui n’est pas très grave si l’on va vers Lyon puisque les rares véhicules s’arrêtant dans le parking ont des chances d’y aller étant donné que les Lyonnais constituent l’essentiel du flux, par contre si l’on va vers Paris la situation est plus difficile puisqu’il faut trouver un conducteur qui contourne Lyon. Dans ce cas, pour contourner Lyon, il vaut mieux se faire déposer sur la station service avant la barrière de péage.
Quand aux stations à essence, des gendarmes particulièrement motivés peuvent appliquer la même technique qu’aux stoppeurs trouvés sur la bande d’arrêt d’urgence: ils les déposent à la prochaine sortie d’autoroute sans se faire trop d’illusion puisque de là il faudra bien que le stoppeur reprenne l’autoroute pour gagner sa destination.
Les aires de repos ressemblent beaucoup aux stations service si ce n’est que les conducteurs qui s’y arrêtent sont souvent moins à même de prendre un stoppeur puisque la proportion de famille avec des enfants est plus forte, ils s’arrêtent pour faire une pause. Par contre la proportion d’automobilistes seuls est plus faible. Avec le risque aussi que l’aire de repos indiqué soit une aire fantôme ne voyant passer personne.
Les cartes de France récentes indiquent souvent les stations essence en plus des barrières de péage, ce qui permet au stoppeur de construire sa stratégie de déplacement en connaissance de cause, histoire d’éviter au maximum les villes en se faisant déposer sur la dernière barrière ou station avant la ville à la recherche de l’automobiliste qui pourra les emmener au moins jusqu’à la prochaine après la ville.
Il est évidemment un lieu intermédiaire à déconseiller absolument: la bande d’arrêt d’urgence. La sécurité routière emploie la formule choc "durée de vie 20 minutes" qui à défaut d’être forcément exacte a au moins le mérite de faire prendre conscience du danger. Le conducteur n’est pas mieux loti si il lui prend l’envie de s’arrêter pour sauver le stoppeur inconscient.
En règle générale les lieux intermédiaires à éviter absolument sont les centres villes, grande règle du stop qui s’assimile très vite. Si la ville semble tentante, puisque le nombre de voitures s’y rendant y est important, sortir de la ville est par trop compliqué. D’abord il faudra peut–être la traverser à pied ou en bus pour retrouver un lieu intermédiaire de départ acceptable, ensuite il faudra la déchiffrer pour savoir ou se placer pour repartir ce qui est particulièrement complexe en ville.
Faire l’erreur de se faire déposer dans Lyon ou dans Paris alors qu’il ne s’agit que d’un lieu intermédiaire peut ralentir le stoppeur de plusieurs heures. Se rendre à l’interface de la ville avec le réseau autoroutier, ce qui prend du temps, a un coût si l’on doit utiliser les transports en commun et nécessite de bien connaître la ville pour savoir où se positionner au mieux.
Il est beaucoup plus simple de se faire déposer à la dernière station essence avant la ville si le conducteur veut bien faire ce léger crochet, ou au pire à la dernière barrière de péage où toutes les voitures sont obligées de s’arrêter. La station essence est plus indiquée, puisque les automobilistes qui s’arrêtent pour faire le plein ou déjeuner à proximité immédiate d’une ville vont probablement continuer leur route après, et non pas s’arrêter dans la ville. La ville joue un rôle de centre d’attraction, ce qui complique la tâche du stoppeur qui circule sur la vague de véhicules, il lui faut trouver un véhicule qui contourne l’agglomération au sein de la masse de ceux se rendant dans la ville.
Les bouts du monde à éviter recouvrent tous les endroits où le stoppeur n’est pas censé arriver parce qu’il aura les pires difficultés à en repartir. Cette description inclut sur autoroute les stations service désertes, les aires de repos fantômes, simples parkings sans station essence et sans restaurant, les péages vides où ne passent pas de voitures.
Sur autoroute la situation peut encore aller crescendo avec le dépôt sur la bande d’arrêt d’urgence ou son parent plus vicieux: l’intersection autoroutière qui piège le stoppeur sur un îlot compris entre trois voies. Encore la bande d’arrêt d’urgence permet-elle de se mettre en sécurité, sécurité qui rime avec staticité car une fois de l’autre coté de la barrière on peut se retrouver là où existent les vrais bouts du monde: en milieu rural.
"One of them gave me a ride to the hill and left me at a lonely crossroads on the edge of the prairie. It was beautiful there. The only cars that came by were farmer–cars; they gave me suspicious looks, they clanked along, the cows were coming home. Not a truck. A few cars zipped by. A hotrod kid came by with his scarf flying. The sun went all the way down and I was standing in the purple darkness. Now I was scared. There weren’t even any lights in the Iowa countryside; in a minute nobody would be able to see me. Luckily a man going back to Davenport gave me a lift downtown. But I was right where I had started from."Kerouac, op. cit.
Le stoppeur, s’il n’a pas décidé de se déplacer en prenant son temps, va chercher à rester sur l’autoroute en déclinant les offres le faisant sortir de sa route. Par contre, si sa stratégie est moins axée sur l’autoroute, le stoppeur peut ne pas avoir la même conception du "bout du monde".
Le stoppeur peut sortir du réseau auto-routier en connaissance de cause, s’il pratique un stop tourisme par exemple, mais il se retrouve alors avec des flux moins denses, plus diffus, ses lieux intermédiaires vont se multiplier, se rapprocher les uns des autres et sa tâche n’en sera que plus ardue. Sa stratégie devra s’adapter à la nouvelle situation.
Qu’il soit sur autoroute ou sur nationale, le stoppeur a recourt aux lieux indiqués.
Les lieux indiqués sont de deux natures selon qu’il s’agit d’un lieu indiqué par le stoppeur ou d’un lieu indiqué par l’automobiliste. Le stoppeur peut recourir à un panneau indiquant sa direction; l’automobiliste indique son département d’origine bien malgré lui sur ses plaques minéralogiques.
"Il ne vous prendront pas en stop sauf si vous indiquez votre destination à l’aide d’un panneau sur lequel votre destination sera clairement indiquée."
Marina
En France particulièrement, de nombreux stoppeurs utilisent un panneau pour informer les automobilistes de leur destination. L’usage est double puisqu’il permet aux automobilistes ne se rendant pas dans la bonne direction de ne pas s’arrêter pour rien et évite à ceux allant dans la bonne direction de penser "de toute manière je ne dois sans doute pas aller dans sa direction donc ce n’est pas la peine que je m’arrête pour m’en assurer".
Le conducteur peut évaluer le temps qu’il va passer avec le stoppeur selon que le lieu indiqué est plus ou moins proche. Prendre un stoppeur à Paris pour l’emmener à Auxerre est nettement moins contraignant que de l’emmener à Marseille. Le stoppeur est identifié, il a un objectif clairement déterminé, une destination connue et le conducteur peut prendre sa décision en connaissance de cause.
Tous les stoppeurs n’y ont pas recours, certains préférant lier contact avec le conducteur pour adapter sa demande en fonction de la destination de ce dernier, en fait le panneau ne devient nécessaire que lorsque le réseau routier devient complexe, en particulier aux sorties des villes, et ce principalement si il n’est pas possible de parler au conducteur et que le seul lien est visuel comme au bord d’une route en un lieu ou les automobiles ne sont pas arrêtés.
Le panneau va du plus simple au plus complexe, du morceau de carton trouvé par terre au tableau effaçable, en passant par deux feuilles de plastique scotchées, avec, glissés entre les deux, un carton et une feuille avec la destination.
La plupart du temps le stoppeur se signale en indiquant un lieu mais pas toujours, comme l’explique Jean–Marc, camionneur lillois, qui a donné à son fils un carnet de route vierge pour qu’il fasse connaître son appartenance au monde de la route. Les routiers s’arrêteront bien plus facilement pour rendre service. De la même manière certains utilisent les disques de contrôle bien connus des routiers.
En ce qui concerne le panneau plus traditionnel, une simple feuille marquée d’une destination, l’expertise du stoppeur peut amener à construire une stratégie de signalisation. Sur de faibles distances il suffit simplement d’indiquer le lieu d’arrivée mais par contre pour de longs trajets il peut être payant d’utiliser plusieurs panneaux successifs. Par exemple un stoppeur expert cherchant à sortir de Paris vers le Sud pour se rendre à Marseille en passant par Lyon peut indiquer Auxerre et non Lyon ou Marseille pour deux raisons: d’abord un conducteur se rendant effectivement à Marseille hésitera à prendre le stoppeur à bord pour huit heures de route sans le connaître au moins un peu alors que celui se rendant à Auxerre hésitera moins puisque le trajet est plus court. Le temps d’hésitation est critique, une fois que le conducteur a redémarré et s’est engagé sur l’autoroute il est trop tard pour faire demi–tour. Ce n’est cependant pas là la raison principale qui poussera le stoppeur à indiquer Auxerre parce qu’à ce régime de saut de puce il lui faudra bien plus longtemps pour arriver à Lyon ou à Marseille. En fait le stoppeur va chercher à résoudre la principale difficulté du trajet: sortir de Paris pour se débarrasser de tous les véhicules qui en fait restent en Ile-de-France. En indiquant Auxerre il vise en fait la barrière de péage qui se trouve à la sortie de Paris sur l’A6 par où passent tous les automobilistes se rendant vers Auxerre, Lyon ou Marseille et au niveau duquel tout le trafic inter–urbain aura disparu. Une fois qu’il est sur le réseau autoroutier circuler ne présente plus de difficultés majeures, il ne lui reste plus qu’à utiliser la vague de véhicules à sa disposition.
Toujours de la Porte d’Italie indiquer Lyon peut s’avérer une bonne solution aussi puisqu’au Nord de Lyon se trouve une autre barrière de péage d’où repartir vers Marseille. Si une des solutions ne fonctionne pas il sera toujours temps de passer à l’autre, jusqu’à obtenir le résultat souhaité: sortir de Paris.
Dans une logique un peu différente, en partant de Montpellier pour aller à Valence, le stoppeur peut rajouter Lyon en dessous. Alors que Lyon n’est pas sur le trajet de Valence. L’inverse est par contre vrai et les conducteurs qui vont à Lyon ne savent pas qu’ils passent à Valence avant ou en tout cas n’en prennent pas forcément conscience immédiatement au moment ou ils voient le stoppeur avec son panneau qui a alors un effet pervers puisque les automobilistes lisent Valence et pensent "je vais à Lyon". Rajouter Lyon en dessous permet d’élargir le nombre d’automobilistes potentiels. Le stoppeur sait que le flux des automobilistes se rendant à Lyon ou ayant conscience de passer par Lyon est bien plus important que celui des automobilistes se rendant à Valence ou ayant conscience d’y passer... or, il sait que pour aller à Lyon par l’A7 il n’y a pas d’autre solution que de passer par Valence. Il réduit ainsi son temps d’attente en anticipant sur la réflexion de l’automobiliste qui se rendra peut-être compte mais trop tard qu’en fait il passait effectivement par Valence et que oups! le stoppeur est un kilomètre en arrière.
Pour avoir une réelle stratégie sur le lieu indiqué il faut déjà parcourir des distances assez grandes pour que cela en vaille la peine mais il faut aussi bien connaître l’espace parcouru et pouvoir anticiper les réflexions des conducteurs pour simplifier le processus de prise de décision.
"Les plaques d’immatriculations sont une bonne source d’informations."Benoît Pierret
L’automobiliste aussi donne une indication précieuse au stoppeur, sa plaque minéralogique indique son lieu d’origine probable. Les stoppeurs se familiarisent très vite avec les numéros des départements ou les équivalents nationaux s’ils existent, ce qui n’est pas le cas en Hongrie ou les plaques n’indiquent ni ville ni région et ce qui n’est que partiellement vrai en Italie ou lassés de se faire racketter dans le Sud, les nordistes ont presque tous opté pour des plaques n’indiquant pas leur provenance, genre AD. En reprenant l’exemple d’un trajet Paris - Marseille, à la porte d’Italie le stoppeur n’insistera pas auprès des véhicules de Paris et de l’Ile-de-France (75, 78, 91, 92, 93, 94, ...) par contre il sera intéressé par les voitures dont les plaques minéralogiques correspondent à des départements se trouvant sur son chemin comme le 89 pour Auxerre, le 69 pour Lyon, le 26 pour Valence ou encore mieux les départements de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, 83, 84, 04 et 06 voire le 13 qui suppose que le conducteur va à Marseille directement. Bien sûr il ne s’agit que de suppositions, tous les 13 ne vont pas forcément à Marseille mais dans un flot de véhicules immatriculés 75 le 13 qui passe est le meilleur pari et mérite une attention particulière.
Information supplémentaire apportée par la plaque minéralogique: si le numéro indiqué est le 51 et que le stoppeur n’est pas à proximité de la Marne, alors il peut supposer qu’il s’agit d’une voiture de location ; le conducteur n’est pas du coin et n’a que peu de chances de prendre un stoppeur, tout comme les voitures immatriculées à l’étranger qui sont le meilleur pari si le stoppeur veut se rendre dans le pays dont la voiture est originaire, mais ne constituent pas un bon choix à moindre échelle.
La lecture des plaques est tellement systématique que dans A Manual for Hitch–hikers Simon Calder liste pour chaque pays les codes ou les numéros qui correspondent aux villes ou aux régions. Ce souci de s’informer le plus possible avant de partir est constant chez les stoppeurs experts et leur permet de mieux circuler sur la vague de véhicules.
"Si je souhaite aller dans un endroit bien précis, je dois aussi avoir une connaissance minimum de la géographie de la région, avoir une connaissance approximative de l’itinéraire pour être en mesure d’accepter ou de refuser un trajet trop court; je dois anticiper."Jean–Marc Leblanc
"De Paris à Marseille, il est facile d’éviter Lyon, parce que Marseille est une grande ville qui attire beaucoup d’automobilistes."Benoît Pierret
Le trajet parcouru du lieu de départ au lieu d’arrivée est un des trajets possibles. Ce n’est pas seulement la distance à parcourir qui compte mais l’évaluation du temps de parcours. L’expertise permet de faire cette évaluation. Certains peuvent ne pas anticiper leur voyage du tout mais plus la distance s’allonge plus le choix d’un parcours modèle s’impose. Plus le parcours a effectuer s’avère complexe plus le stoppeur peut avoir intérêt à prévoir son trajet à l’avance et à s’y tenir à tout prix, surtout s’il le découvre pour la première fois et ne peut donc pas évaluer correctement les propositions des conducteurs de le déposer à tel ou tel endroit plutôt qu’à tel autre. Si il se laisse guider, il peut se retrouver dans un lieu d’où il aura du mal à repartir. En se fixant un trajet avant de partir avec des lieux intermédiaires possibles au regard de ses expériences passées le stoppeur évite ce type de déconvenue.
Paris – Annecy
Des choix rationnels pour un stoppeur ne le seraient pas forcément pour un automobiliste. L’automobiliste qui va de Paris à Annecy tourne à Mâcon alors que l’auto-stoppeur a plutôt intérêt à passer à proximité de Lyon, puis Chambéry, et enfin Annecy, l’autoroute directe Mâcon - Annecy étant exécrable pour le stop.
Le trajet préalable vaut ce qu’il vaut, au stoppeur pendant son voyage à faire preuve de souplesse et à s’adapter en fonction des données qu’il recueille et des opportunités qui se présentent à lui. Une fois sur la route il ne reste plus qu’à accepter ou non chaque véhicule et à se faire déposer à tel endroit plutôt qu’à tel autre. Toute l’expertise du monde n’abolira pas le risque d’erreur, par contre il pourra le réduire sensiblement.
"Orléans: 89 km. Je me rends compte au moment où je les quitte que j’ai commis une erreur tactique. Il est plus simple de continuer par l’autoroute jusqu’à Orléans, faire demi–tour et reprendre l’A10 direction Tours au lieu de se farcir 110 km de natio et encore 20 pour arriver à Château–Renault."
Wagner, 1998
Le premier passage par un trajet donné est le plus difficile puisqu’il se fait à tâtons comme l’a montré Benoît Pierret dans le récit de son premier Paris - Pau. Les informations recueillies sur une carte telles que la position des barrières de péage ou des stations à essence sont une chose mais la réalité de la route est souvent bien plus complexe. Pour chaque trajet, le stoppeur doit ouvrir la voie une première fois, un peu à la manière d’une voie d’escalade, sauf si un autre stoppeur la lui a décrite avec précision lui indiquant les écueils à éviter et les lieux intermédiaires à privilégier. Si, au début, faute de meilleur critère de choix, le stoppeur privilégie les trajets incluant le plus petit nombre de kilomètres, petit à petit, alors qu’il se construit sa représentation du territoire et des vagues d’automobiles, il peut construire son itinéraire plus savamment, allant même parfois en fin de compte jusqu’à repartir en arrière pour rattraper une autoroute qui lui permettra de circuler plus vite.
"Qu’est–ce que ça peut me gaver mais alors qu’est–ce que ça peut me faire chier les nationales."Wagner, 1998
"L’autoroute est l’ennemi de l’auto–stoppeur. L’accès en est interdit et les voitures y roulent trop vite pour songer à s’arrêter. Il y a l’engrenage du trafic. Infernal. Les bretelles d’accès sont, de plus, loin des villes et on ne peut les atteindre qu’au terme d’une longue marche et encore! A la condition de ne pas se perdre dans le dédale des chaussées, des ponts, des rampes d’accès comme à Los Angeles."
Brugiroux, op. cit.
Eric Wagner et André Brugiroux ont des points de vue diamétralement opposés sur la question de l’usage ou non de l’autoroute. Choisir de ne pas utiliser l’autoroute, c’est faire le choix d’un stop plus lent et plus complexe. Choisir de l’utiliser suppose qu’une autoroute existe et que l’employer permettra de gagner du temps. Les avantages et les inconvénients de chacun des choix sont nombreux:
Autoroutes | Nationales | |
---|---|---|
Positif | Rapide Longs trajets Simplicité des flux Stations essence Barrières de péage | Courtes distances Autorisé Plus de lieu de décollage Facilité des arrêts Cadre, environnement Sécurité |
Négatif | Interdit Peu d’entrées et de sorties A coupler avec la nationale | Lent Complexe Courtes distances |
Il n’est pas possible de faire un choix définitif. Les partisans de l’autoroute privilégient l’aspect déplacement, ceux de la nationale l’aspect découverte, voyage. De toute manière il est difficilement envisageable de ne recourir qu’à l’autoroute, sauf à se limiter à du stop de métropole à métropole. Partir de Paris peut se faire sans passer par la nationale puisque les autoroutes sont directement connectées au réseau urbain ; par contre de nombreuses villes ne sont desservies que par des routes nationales et qu’il s’agisse d’un lieu de départ où d’un lieu d’arrivée il faudra bien en passer par-là.
Les trajets que va choisir le stoppeur peuvent être plus ou moins complexes, plus ou moins faciles à suivre, la résultante étant un voyage plus ou moins long, plus ou moins rapide.
Le modèle ci-dessous rassemble un panel de types de trajets plus ou moins pratiques, plus ou moins simples.
Trajets en stop
Ces six cas présentent un panel situations faces auxquelles le stoppeur peut se trouver confronter. Il existe quasiment toujours plusieurs trajets possibles, reste au stoppeur à choisir avec discernement. Plus le parcours est pratiqué plus l’expérience permet de choisir en connaissance de cause.
La maîtrise des trajets et des lieux entraîne une réelle expertise de la multi–modalité. Pour vérifier la réalité de ces techniques, restait à les appliquer. J’ai donc choisi de parcourir 1700 kilomètres en stop pour utiliser sur le terrain les techniques déduites des récits des auto–stoppeurs rencontrés. Le voyage consistait à partir de Paris pour ce rendre dans un petit village de Provence, Pertuis, qui se trouve à 20 kilomètres au nord d’Aix en Provence.
Paris – Pertuis
Ce voyage à l’avantage d’inclure une sortie de grande ville (Paris), un contournement d’agglomération importante (Lyon), du stop sur autoroute et sur nationale.
Le trajet de retour partait d’Aix jusqu’à Paris, Aix étant représentatif des villes dont il est difficile de partir. Le voyage est une application des techniques précitées. Tout s’est bien passé, ce qui valide en partie les techniques employées puisque dans ce cas précis elles ont été efficaces, ce qui ne veut pas dire qu’elles le seront toujours. L’aller s’est fait dans la journée du samedi 1er mai, alors que la SNCF était partiellement en grève, ce qui semble avoir facilité les choses: certains des automobilistes se sont arrêtés en pensant que je faisais du stop pour pallier le manque de train.
L’aller s’est fait en à peine plus de huit heure, alors qu’un automobiliste mettrait entre six heures et sept heures trente. Le départ de la Porte d’Italie a permit de vérifier l’importance du choix du lieu de décollage: en 60 minutes au feu rouge au niveau de la station service à l’entrée du rond-point, personne ne s’est arrêté (cf. description Porte d’Italie) alors que correctement positionné au dernier feu avant l’autoroute le décollage n’a pas pris 5 minutes, grâce à un démarchage actif des conducteurs dont les plaques indiquaient qu’ils se rendaient probablement dans la bonne direction: Lyon, Valence, l’ensemble de la région PACA. Le premier automobiliste, un couple, avait pris sa voiture faute de pouvoir prendre le train pour se rendre à Lyon. C’est ici que l’idée de la légitimité du stop en tant de crise trouve une confirmation. La passagère explique qu’ils ont fait la relation entre la grève et ma présence sur la route et qu’en temps normal ils ne prennent jamais de stoppeurs. La voiture allait jusqu’à Lyon, au pire un 89 vers Auxerre aurait permis de sortir de l’agglomération pour être déposé sur la barrière de péage. Au nord de Lyon, premier lieu intermédiaire: la barrière de péage. A peine descendu le responsable du péage fait signe: il faut se positionner sur le parking après le péage. Interrogé il explique que les stoppeurs positionnés sur la barrière de péage représentent un danger pour les automobilistes et pour eux-mêmes et que la loi interdit de toute manière le stop sur les barrières de péage. La tolérance des responsables de péage et surtout de la gendarmerie varie d’un péage à l’autre. Malgré l’interdiction le lieu est idéal à condition de partir vite, avant l’arrivée de la cavalerie. Bien entendu la plus grande partie du flux ne s’arrête pas sur le parking, et la plupart de ceux qui s’y arrêtent vont vers Lyon. Il faut trente minutes avant que n’arrive un couple immatriculé 84 qui accepte après discussion de transporter un compatriote. Ils vont vers Avignon, ce qui est très précisément dans la bonne direction; en fait il apparaîtra plus tard qu’ils font bien mieux que cela: ils sortent d’Avignon dans la direction de Cavaillon et peuvent donc me laisser sur la D973. La D973 commence un peu après Avignon pour passer par Cavaillon, Cadenet puis Pertuis. Une fois sur cette route il s’agit de stop local. Tout s’étant passé au mieux, il est encore très tôt. Trois véhicules permettent de rejoindre Pertuis, ici le seul impératif étant qu’ils me laissent sur la D973 pour que je puisse facilement continuer. L’arrivé se fera à dix–sept heures, soit huit heures après le décollage de la Porte d’Italie, neuf heures après l’arrivée à la Porte d’Italie suite à l’épisode du feu rouge.
Le retour sera beaucoup plus compliqué, surtout le début quand il s’agit de rejoindre le réseau autoroutier; sans compter que la pluie s’en mêle. Une fois rejoint le réseau autoroutier cela n’a plus d’importance puisque les stations essence comme les barrières de péage sont abritées mais au début, sur des routes nationales, la pluie est vraiment gênante. D’autant plus que les conducteurs réagissent différemment face à un stoppeur mouillé: soit ils compatissent, soit ils ne veulent pas mouiller leur voiture, leurs motivations ne sont plus les mêmes. Il faudra pas loin de deux heures et quatre véhicules pour rejoindre une grande station service avec restaurant au-dessus de l’autoroute, qui permet de passer d’un côté à l’autre sans difficulté. Une fois dans la station service tout est bien plus simple, même si le personnel ne voit pas d’un très bon œil le démarchage de leurs clients. De là il ne faudra que trois étapes, une première jusqu’à la barrière de péage au Sud de Lyon avec un prêtre et son chauffeur, une deuxième avec un camionneur Biélo-Russe pour contourner Lyon: le fait de ne parler aucun langage commun rendra la communication on ne peut plus problématique, la carte permettant ici d’indiquer le trajet même sans se comprendre, ou en ne se comprenant que grâce à un mélange d’allemand et de russe de son côté, de français et d’anglais du mien. Enfin un autre camionneur de la barrière de péage au Nord de Lyon jusqu’à Paris la Défense. La barrière de péage du Sud de Lyon est connue comme étant un mauvais lieu intermédiaire: la guérite de contrôle est au centre du péage et le superviseur chasse systématiquement les auto-stoppeurs vers le parking. Par contre celle au Nord de Lyon est dans le sens Lyon - Paris idéal puisqu’il s’agit de distributeurs automatiques de tickets qui cachent le stoppeur aux yeux du superviseur et de la gendarmerie. Le voyage retour aura donc été réalisé principalement à bord de camions, qui ont l’inconvénient d’avancer lentement et de s’arrêter régulièrement et l’avantage que le camionneur s’arrête parce qu’il a vraiment envie de discuter avec quelqu’un, étant toute la journée seul dans son véhicule.
L’expertise a permis de circuler sur la vague de véhicules utiles en passant le plus rapidement possible d’un véhicule à l’autre en un nombre minimum de lieux intermédiaires. Une fois l’itinéraire suivi une fois, étant donné sa relative simplicité, il ne devrait plus poser de difficultés majeures dans le futur.
Le stoppeur expert a acquis la maîtrise d’un mode de transport qui a comme caractéristique principale d’être gratuit ce qui facilite grandement son usage, le coût du déplacement n’étant plus un frein à la mobilité. Durant son apprentissage il s’est familiarisé avec un territoire de plus en plus vaste au sein duquel il se sent à l’aise pour se déplacer avec une seule contrainte: le temps à sa disposition. Le stade ultime étant la capacité à se déplacer n’importe où sur la planète. Le stoppeur ne sait jamais exactement ni par où il va passer, ni combien de temps cela va prendre ni même s’il va atteindre sa destination. Il utilise son expertise pour voyager sur un champ de possibles, sur une vague d’automobiles dont chaque conducteur a un objectif bien précis, au stoppeur de choisir les véhicules qui peuvent l’approcher de sa destination.
Cette notion de vague n’existe pas dans le co-voiturage, passer par une agence comme Allo-Stop Provoya pour trouver un véhicule ou bien utiliser les petites annonces d’un groupe de discussion sur Internet relève d’une démarche différente: l’utilisateur ne fait pas de stop, il profite d’un service proche du taxi. Ceci est vrai, qu’il s’agisse de co-voiturage dans sa vision la plus traditionnelle, un conducteur transportant contre une participation aux frais un passager, ou dans sa vision moderne: deux conducteurs prenant leur véhicule à tour de rôle. La confusion qui existe entre le stop et le co-voiturage vient de ce que le second est issu du premier. Au départ les utilisateurs du co-voiturage étaient des auto-stoppeurs, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui: le divorce est consommé. Le co-voiturage traditionnel est en concurrence avec le train et fonctionne bien là où le train est peu compétitif (Paris - Bretagne) et moins bien dans le cas contraire (Paris - Lyon). En co-voiturage de proximité il vient compléter l’offre de transport en commun là où elle fait défaut, c’est-à-dire principalement pour les déplacements de banlieue à banlieue. Le stop, lui, est plus diffus, plus spontané.
Certaines solutions hybrides, mélangent de stop et de co-voiturage, ont été tentées. Taxi–stop Flandres en Belgique avait imaginé coller un papillon sur les voitures, avec une tire–lire sur le tableau de bord. Le passager, au bord de la route, disposait d’un jeu de lettres pour rédiger sa destination. Automobilistes comme passagers faisaient tous parti du même club, d’où une quasi-obligation de s’arrêter. Cela n’a pas marché. Le volume nécessaire à l’efficacité du système n’a pas été atteint. Le même type d’expérience a été tentée à proximité de Grenoble ou une communauté de commune a mis en place des abris-stop et des signes de reconnaissance pour les stoppeurs et les automobilistes: il s’agit de stop puisque le passager n’a pas rendez-vous mais d’un stop plus organisé, moins sauvage, ce en quoi il a des points communs avec le co-voiturage. Si la volonté de rendre le stop plus praticable devait un jour voir le jour à grande échelle, le projet emprunterait certainement les voies tracées par ce type d’expériences pilotes.
Le stoppeur cherche à faire son voyage à bord de véhicules n’ayant pas forcément les même destinations que lui, il recherche ceux des automobilistes qui vont l’avancer sur la route en s’appuyant sur sa maîtrise de la multi modalité et sur sa capacité à lier contact avec les conducteurs pour qu’ils l’acceptent à bord, que ce soit une prise de contact passive à l’aide d’un panneau ou active à l’aide de démarchage.
Il ne peut pas se contenter de réfléchir comme un automobiliste, c’est-à-dire négliger totalement tout ce qui se trouve entre son lieu de départ et son lieu d’arrivée. Lui doit intégrer ce qui se situe entre les deux puisqu’il peut malgré toutes ses précautions être déposé à un endroit totalement incongru, imprévu, d’où il faudra bien repartir. Cette nécessité de prendre fortement en compte les lieux intermédiaires le singularise totalement de l’automobiliste. Le stoppeur chevronné qui a acquis une connaissance du territoire propre au stop l’appréhende à son échelle de stoppeur, un mélange de piéton et de passager, de déplacements à pied et de déplacements motorisés, un point de vue unique avec sa propre géographie routière.
Sur cette représentation spatiale spécifique qui est statique le stoppeur ajoute les flux de véhicules qui circulent sur ce territoire. A lui de juger si le nombre de véhicules sera suffisant ou s’il sera trop faible, si les conducteurs l’emmèneront vers un lieu qui lui convient où si le flux sera attiré par une agglomération importante: il doit circuler sur la vague dont il dépend.
C’est donc la maîtrise de cette vague qui permet au stoppeur de se déplacer. Il est confiant dans sa capacité à circuler au sein d’un espace donné qu’il s’agisse de sa région, de la France où de l’Europe pour les plus mobiles: son territoire de stop, aussi vaste soit-il, ne lui paraît plus immense et inaccessible.
Il est donc correct de penser que le stoppeur a une perception spécifique des territoires sur lesquels il circule en stop, perception indissociable de celle de la vague de véhicules sur laquelle la pratique du stop s’appuie.
L’étape suivante serait de cartographier la France du stop, ce qui nécessiterait de parcourir un nombre considérable de kilomètres d’un bout à l’autre du territoire.
Très souvent le stoppeur qui au début a utilisé le stop en remplacement d’autres modes de transport plus onéreux s’est mis à se déplacer de plus en plus, il est devenu de plus en plus mobile le stop ne venant plus simplement remplacer mais bien prolonger les autres modes de transport, le coût des voyages n’étant plus un frein. Sa vision spécifique du territoire que l’on ne retrouve pas dans les autres modes de transport le lui a rendu plus accessible.
Aujourd’hui le stoppeur se déplace sur un réseau routier qui le néglige mais rien n’empêche d’imaginer la mise en place aux endroits clefs du stop d’abris-stop qui permettraient au stoppeur de circuler en toute sécurité des sorties de ville aux barrières de péage, des barrières de péage aux stations essence, ...
"Le stop nécessite d’être indépendant, responsable, parfois courageux, et pas douillet. Ces ressemblances avec un rite d’initiation ne sont pas une simple coïncidence."Franzoi, 1985
Bibliographie
Etudes
Manuels
Récits